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d’ajoncs épineux. Ici c’était un mur qu’il fallait franchir, plus loin un ruisseau où il fallait descendre ; un enfant criait, accroché par un arbuste, un autre pleurait d’épouvante, un autre, épuisé, tombait de fatigue et s’endormait.

Il importait de dépasser au plus vite les environs d’Ajaccio, car, dès le jour, on aurait rencontré des paysans ennemis en marche sur la ville. Cependant le torrent du Capitello offrait un obstacle que des enfans si jeunes ne pouvaient franchir. Costa s’empara d’un cheval, qu’il savait être dans un enclos voisin, et s’en servit pour transporter les voyageurs sur l’autre rive. Tous les hommes armés rétrogradèrent alors, chargés de répandre la fausse nouvelle que Madame était allée s’embarquer à Saint-Florent. Elle persévérait au contraire dans l’idée de se tenir dans le maquis voisin du golfe d’Ajaccio, sûre que son fils viendrait l’y chercher. Là, guidée par Costa, elle eut l’effroi d’entendre des paysans armés qui parlaient entre eux de mettre à mort tous les Buonaparte. Des fanatiques passèrent à deux pas d’elle sans la voir ; elle remercia Dieu de l’inspiration qu’elle avait eue de suivre Costa dans le désert et de ne compter que sur Napoléon pour la sauver.

A peine arrivé à Bastia, il s’était jeté sur un chébek rapide, et il était parti en éclaireur devant l’expédition préparée par Lacombe Saint-Michel. Il débarqua à Provenzale, où étaient les bergers de sa famille, en expédia plusieurs à Bastelica pour avoir des nouvelles, se cacha dans les rochers pour attendre leur retour, mais fut délogé de là par une fusillade, qui l’obligea à se rembarquer précipitamment. Il prit alors le parti d’entrer dans le golfe d’Ajaccio avec son navire. Il en longeait les bords, quand il aperçut de loin un groupe de gens qui lui faisaient des signes. Il se jeta dans une chaloupe pour les reconnaître et, en s’approchant, aperçut bientôt sa mère et ses sœurs qui lui tendaient les bras.

Madame assure que, parmi toutes les joies que Napoléon lui a procurées ensuite, celle de ce jour-là est restée la plus grande. « Il était tout mouillé, dit-elle. Il s’était jeté à la mer pour m’embrasser un instant plus tôt. » La gloire, le génie, la puissance de son enfant, ne sauraient lui faire oublier cette image, car rien peut-il être plus doux pour le cœur d’une mère que les gages que donne l’amour filial ?

L’ayant quittée sur ces souvenirs de tendresse, nous ne