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une fumée révélant un foyer. Sur ce plateau délaissé, le gouvernement a eu maintes fois le projet d’établir pour les armées de tout le Midi un camp de séjour et de manœuvres.

La première fois que j’ai abordé le Larzac, je venais de Lodève. Il faisait encore nuit. J’entendais les eaux de la Lergue gambader parmi les pierres et les roseaux. Bientôt l’ombre se dissipa, et sous de lourds nuages mauves, au fond de la large vallée, la figure énorme du Larzac m’apparut. Au pied de sa muraille escarpée, où ne s’accroche aucune plante dans les criques arrondies qu’elle forme, des sources bouillonnent au creux d’un tapis de mousse. Les ruisseaux arrosent des fermes, font mouvoir, à Soubès, Saint-Étienne-de-Gourgas, des moulins et des scieries. Le paysan éprouve un sentiment presque religieux pour son Larzac, monstre familier et redoutable, qui provoque la tempête, mais qui également préserve de la sécheresse les cultures.

Plus tard, lorsque pérégrinant à travers l’admirable Jura, je suis descendu du col de la Faucille dans une vieille guimbarde a quatre roues, par le chemin si étroit taillé à même la paroi friable du précipice, je me suis rappelé l’ascension du Caylar, ce Pas de l’Escalette qui grimpe majestueusement, pendant 7 kilomètres, sur les flancs du calcaire, jusqu’à la brèche pratiquée dans la lèvre du plateau. Noble décor, si peu connu ! Le petit chemin de fer de Montpellier-Paulhan s’arrête net à Lodève. Quel voyageur s’aventure vers le Larzac, vaste désert de pierres, où ne passent qu’une ou deux carrioles par jour ? De temps à autre, une troupe de chasseurs y monte poursuivre le gibier abondant, surtout le lièvre. Mais il ne faut pas craindre la fatigue, ni le manque absolu de confort.

Le caussenard ne possède point de charrue. Il se sert, pour ses constructions, de pierres brutes ou sommairement équarries. Les chambranles des portes et des fenêtres contiennent peu de bois ; à peine si les volets et l’encadrement des vitres sont menuisés. Masures basses, à demi enfouies dans le sol, pour mieux résister au souffle impétueux des rafales : on ne les aperçoit que lorsqu’on a, pour ainsi dire, le nez dessus. Pourtant, de loin en loin, un bouquet d’arbres m’appelle, des pins à la ramure élégante et drue, toujours verte. Je sais qu’à leur ombre, je trouverai de l’eau, et au moins une maison. Car, tout de même, le causse recueille les pluies dans des citernes ou des mares,