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assez considérable entrainées par les courans diluviens qui, à plusieurs reprises, ont balayé notre sol ? La plupart des rivières du Bas-Languedoc sont aurifères. Ce nom de l’Hérault signifie, en idiome languedocien, charrieur d’or. Quelques tentatives de lavage de ses eaux ont donné, près de Saint-Bauzille-du-Putois, des résultats probans, mais insuffisamment avantageux.

Au rustique embarcadère de Balaruc, je prends le petit vapeur poussif qui vient de Mèze, et je pars pour Cette, dont de sordides baraques indiquent au premier plan, en deçà du port, l’étrange quartier de Cayenne, réservé aux repris de justice, interdits de séjour. L’étang est bleu, sans un frisson. Le vapeur avance lentement. À ma gauche, l’île de Saint-Sauveur, célèbre par ses débris d’antiquité romaine ; et aussi la source de l’Abysse qui jaillit avec impétuosité d’une faille de 3 000 mètres de profondeur, et si chaude que sa température est de 32° supérieure à la moyenne de celle de la localité. À ma droite, recueil redoutable de Roquerols, tout noir, à fleur d’eau, et qui porte sa légende héroïque d’un palais de roi, rempli de trésors.

Devant moi se précise le mont Saint-Clair, aux flancs duquel s’accroche la ville de Cette. Entre la mer et l’étang, le Saint-Clair, la montagne des Pins, le mons Pinifer d’Aviénus, est isolé comme le Vésuve dans le golfe de Naples. Jusqu’à son sommet, s’étagent, parmi des vergers et des vignobles, des baraquettes éparses et blanches. Le vapeur me débarque sur le quai du canal, qui fait communiquer l’étang avec la mer. Je grimpe, à travers des quartiers neufs, puis par des chemins zigzagans et poussiéreux, jusqu’aux plus hautes terrasses. Le point de vue est unique. La mer immense, l’étang plus bleu, embrassent la ville, dans la joie du soleil. C’est en descendant les pentes rocailleuses de Saint-Clair que Taine a noté, en 1866, sur l’un de ses Carnets de voyage : « … Comme on sent ici la noblesse de la beauté !… Les hommes ainsi entourés ne peuvent avoir la même âme que des gens du Nord. » Là-bas, très loin, un brouillard fauve estompe les rampes vertes des Cévennes, les murs bleuâtres des causses, le roc inaccessible, la cuirasse dorée du Caroux, qu’a si souvent chanté Ferdinand Fabre. Mais, non loin de Saint-Clair, à l’extrémité de l’étang, la baie qui s’enfonce dans les vignes du pauvre village de Bouzigues évoque, sinon les richesses, du moins le ton et la mélancolie de Venise, avec ses maisons penchées sur l’eau, ses sables roses mourant