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époux, le roi Pierre II d’Aragon. À Béziers, évolue le Chameau, parce que ce fut sur un chameau que saint Aphrodise vint des déserts de l’Afrique prêcher le christianisme aux Biterrois. À Bessan, il y a l’âne ; le bœuf à Mèze ; le cochon à Poussan ; le crabe à Bouzigues ; le chat à Aix ; le crocodile à Nîmes ; la Tarasque à Tarascon. À Agde, pendant le moyen âge, une procession des Fous de l’âne se rendait, sous la direction du clergé, à la cathédrale ; la bête symbolique était admise aux offices célébrés en vue d’honorer l’humble animal, sur le dos duquel Jésus avait fait son entrée dans Jérusalem.

Le Poulain rappelle le passage de Louis VIII à Pézénas, en 1226, pendant la guerre des Albigeois. La jument royale mit bas, dans une des écuries du château, un superbe poulain que les habitans présentèrent au Roi et à la Reine avec toutes les marques d’une vive allégresse. « Surpris et content, Louis VIII voulut, pour perpétuer la mémoire de cet événement, que la ville fit construire un poulain en bois et qu’elle l’admit, en souvenir de sa royale personne, dans toutes les fêtes publiques. » Le Poulain, effectivement, est de toutes les fêtes ; même, jadis, il précédait les graves magistrats consulaires dans les cérémonies officielles. Il a, sans dommage pour son prestige, traversé les périodes les plus diverses de l’histoire. Le peuple l’aime avec une ferveur quasi religieuse, parce qu’il voit instinctivement en lui l’image amplifiée et agitée de sa personne versatile, naïve et gaie. C’est une sorte de cheval de Troie, en bois et cerceaux de châtaignier, dont la charpente est recouverte d’une robe bleue, que parsèment des étoiles. Ces étoiles républicaines ont remplacé les fleurs de lys d’or du temps des Rois, ainsi que les abeilles de l’Empire. La tête, emmanchée d’un cou très long et très mobile, est celle d’un loup velu, ornée de rubans, de grelots et de cocardes. Sur son échine, deux mannequins avantageux, dont nul ne connaît la signification, et qui représentaient peut-être le Roi et la Reine, Estiennou et Estiennette, vêtus d’habits de noce, fleuris de bouquets de roses et de fleurs d’oranger, tressaillent aux moindres secousses de la bête : car celle-ci, actionnée par cinq hommes robustes, dissimulés sous sa robe, avance lourdement, parfois recule, saute en cadence, ou, brusque, vire sur elle-même, causant des paniques dans la foule. Un berger, costumé de blanc et tout enrubanné, fait le simulacre de lui offrir, en dansant, de l’avoine dans un tambour de