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actuel, ce n’était pas la France qui était l’agresseur. Elle a beaucoup trop d’esprit pour s’arrêter aux billevesées inventées par l’Allemagne d’aviateurs français qui auraient volé sur la Belgique et lancé des bombes sur Nuremberg : il faut être Allemand pour s’y laisser prendre. De même, si le comte Szécsen est resté trop longtemps à Paris dans l’espoir que nous finirions par le congédier, ce qui permettrait de dire que c’était la France qui avait déclaré la guerre, c’est encore là une invention au seul usage de l’Allemagne, non pas de l’Italie, qui sait le fond des choses. L’Italie devait donc rester neutre. Que serait-il arrivé pourtant et l’Italie n’aurait-elle pas pu reprendre sa liberté si la diplomatie allemande avait su arranger les choses de manière à ce qu’un intérêt italien, bien clair, bien net, bien puissant, fût engagé dans la partie en jeu ? Aurions-nous pu nous étonner si l’Italie n’avait pas sacrifié cet intérêt ? La tentation pour elle aurait été très forte. Mais c’est tout le contraire qui est arrivé : l’Italie a été invitée à prendre part à une action militaire infiniment dangereuse pour elle et dont le succès aurait compromis son intérêt le plus évident. On voit mal l’Italie s’engager dans une guerre dont le résultat est plus que douteux pour aider l’Autriche à devenir maîtresse de l’Adriatique. Aussi aucune considération à côté, aucune objurgation, aucune promesse, aucune menace, — car on ne les lui pas épargnées, — n’ont-elles pu la décider à rompre la neutralité. En dehors de l’avantage matériel que nous y trouvons, nous sommes heureux de voir l’Italie refuser de prendre les armes contre nous : c’est une grande joie dans le présent, c’est une grande espérance pour l’avenir et peut-être pour un avenir très prochain.

Mais c’est surtout avec l’Angleterre que le gouvernement allemand a poussé l’inconséquence à ses limites extrêmes. Jusqu’au dernier moment, il a espéré que l’Angleterre, elle aussi, resterait neutre. C’était difficile à obtenir de la part d’un pays qui était ouvertement notre ami, qui avait depuis quelques années déjà l’habitude d’une vie politique commune avec nous et qui attachait un intérêt puissant au maintien de l’équilibre actuel, non seulement en Europe, mais dans le monde. Quoi qu’elle eût fait, l’Allemagne ne serait pas parvenue à détacher tout à fait l’Angleterre de nous. Elle l’a essayé cependant, et les arguments qu’elle a employés pour cela sont précisément ceux que nous lui aurions perfidement soufflés, si nous en avions eu le moyen. Sir Edward Grey a déclaré à l’ambassadeur allemand que l’Angleterre ne laisserait pas écraser la France. — A Dieu ne plaise! a répondu l’ambassadeur allemand, nous n’avons l’intention d’enlever