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à la France aucune parcelle de son territoire. — Mais ses colonies? a demandé sir Edward Grey. — Sur ce point, l’ambassadeur allemand a interrogé son gouvernement, qui a déclaré ne pas pouvoir répondre. Du coup, l’Angleterre a été édifiée. Si nous étions vaincus, — qu’on nous pardonne cette hypothèse devenue invraisemblable ! — nous aimerions sans doute mieux, nous Français, que l’Allemagne nous enlevât quelques colonies qu’une de nos provinces métropolitaines. Mais l’Angleterre ? Ce n’est plus la France qui est sa rivale à travers les mers, c’est l’Allemagne. La puissance coloniale de la France est devenue un élément de l’équilibre général ; l’Angleterre la connaît et s’en accommode ; elle aurait d’autres préoccupations, si elle voyait l’Allemagne occuper dans la Méditerranée le Maroc, l’Algérie et la Tunisie. Et ces préoccupations seraient aussi partagées par l’Italie. Nous ne saurions trop remercier l’Allemagne d’avoir mis, cette fois par exception, une naïve franchise à faire connaître ses intentions. Dans quelle mesure celles de l’Angleterre en ont-elles été influencées, on a pu s’en douter quand on l’a vue s’empresser, pour commencer, de prendre le Togoland à l’Allemagne : la réponse était spirituelle et vraiment pleine d’à propos. L’Angleterre a aussitôt développé et précisé les déclarations qu’elle avait déjà faites à notre endroit. Au début, elle s’était contentée de dire qu’elle ne nous laisserait pas écraser, ce qui est un terme vague, et qu’elle défendrait nos côtes septentrionales contre une agression allemande, de manière à nous assurer toute liberté d’action dans la Méditerranée. C’était beaucoup, mais pourquoi ne pas l’avouer ? ce n’était pas encore tout ce que nous attendions de nos amis. Sir Edward Grey déclarait d’ailleurs que l’Angleterre gardait pour la suite sa liberté de faire ou de ne pas faire. Aurait-elle fait davantage ? Il y a tout lieu de le croire ; en effet, lorsque le gouvernement allemand a proposé de s’engager envers elle à respecter nos côtes septentrionales, sir Edward a répondu que c’était insuffisant. Il semble donc bien que, dès ce moment, ses attentions allaient plus loin et, s’il ne le disait pas plus expressément, c’est sans doute parce qu’il y avait, dans le ministère anglais, des divergences dont la démission de lord Morley et de M. John Burns a été la manifestation discrète. Au surplus, l’Angleterre n’a pas tardé à sortir des demi-mesures et l’Allemagne lui en a imposé l’obligation en refusant de prendre un engagement au sujet de la neutralité de la Belgique. Ce n’était pas une goutte d’eau, mais bien toute une cataracte qui faisait enfin déborder le vase.