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que le devoir lui impose et notre mobilisation s’est faite dans un ordre admirable. Personne ne s’est demandé par quelles mains était tenu en ce moment le drapeau national : il n’y a plus de partis, il n’y a que des Français, et tous ont couru au drapeau. Plus de ces manifestations comme celles qui, en 1870, ont laissé un remords dans nos mémoires. Nous avons toujours été un peuple vaillant, nous sommes devenus un peuple sérieux. « Nous sommes sans reproche, a dit M. le Président du Conseil, nous serons sans peur. »

De ces vertus guerrières, nous aurions voulu être les premiers à donner l’exemple au monde, si ce n’était pas la Belgique qui l’eût fait. Mieux vaut pour l’honneur de l’humanité qu’il ait été donné par un peuple de quelque 7 millions d’habitans contre un autre qui en a plus de 60. Cette disproportion numérique montre avec plus d’éclat ce que peut la force morale au service d’une juste cause. L’Allemagne avait préparé dans le recueillement et le silence un plan de guerre dont l’exécution ne pouvait se faire que par la violation de la neutralité belge. Ce plan, sinon dans les détails, au moins dans son ensemble, est si simple qu’il est apparu à la fois à tous les esprits. Notre frontière commune avec l’Allemagne est courte et bien défendue ; nous y avons accumulé les ouvrages d’art, les fortifications ; nous y avons concentré nos meilleures troupes, ces troupes de couverture qui, au milieu d’une population animée du patriotisme le plus ardent, sont toujours entraînées et toujours prêtes. Si nous connaissons notre force, l’Allemagne ne l’ignore pas, et elle vient de prouver combien elle la redoute. Son plan a consisté à tourner à l’Ouest notre aile gauche, par un grand mouvement qui ne pouvait s’accomplir que sur le territoire belge. Dans la confiance que nous inspirait, bien à tort, on vient de le voir, la sainteté du droit, nous n’avions pas défendu notre frontière avec la Belgique comme notre frontière avec l’Allemagne. La tentation devait donc être grande pour celle-ci de violer la neutralité belge : elle tournait ainsi notre ligne principale de défense et, en même temps qu’elle l’aurait fait sur cette ligne, elle nous aurait attaqués à gauche et par derrière. Nous aurions été pris entre les branches d’un immense étau. Mais il fallait pour cela de deux choses l’une : ou que la Belgique s’y prêtât, ou que sa résistance fût brisée.

Le plus probable, et de beaucoup, est que l’Allemagne comptait sur la réalisation de la première hypothèse ; si cependant c’était la seconde qui se présentait, elle ne s’en embarrassait guère et, quoiqu’elle eût signé le traité de 1839 qui garantissait la neutralité de la