Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 22.djvu/959

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’empereur Nicolas a embrassé notre ambassadeur, M. Maurice Paléologue. « J’embrasse la France en votre personne, » a-t-il dit. La France venait de donner une preuve éclatante de sa fidélité à une alliance qu’elle a contractée il y a près d’un quart de siècle. Depuis lors, la confiance des deux pays l’un dans l’autre ne s’est jamais démentie : on vient de voir combien elle était justifiée. La nôtre est si grande que, on a pu le remarquer, lorsque notre gouvernement est venu, dans un grand, très noble et très beau langage, demander aux Chambres de voter les crédits qui nous permettaient de soutenir la lutte, pas une voix ne s’est élevée pour demander à connaître le texte précis de nos engagemens avec la Russie. On n’a vu qu’une chose, à savoir que l’Allemagne avait déclaré la guerre à notre alliée : il n’est venu à l’idée de personne de mesurer l’étendue du concours que nous avions à lui donner. Les deux pays se défendront l’un l’autre avec la totalité de leurs forces, et l’empereur Nicolas a déclaré qu’il ne ferait pas la paix aussi longtemps qu’il y aurait un soldat allemand sur le sol français. La résolution de la Russie, comme la nôtre, comme celle de l’Angleterre, est unanime. Les explications que M. Sazonow a données à la Douma ont été couvertes d’applaudissemens. Nulle part une voix dissidente ne s’est élevée. Il n’y a en Russie qu’un seul cœur.

C’est un beau spectacle, qui révèle un grand peuple, mais que nous avons donné nous aussi. Si l’Allemagne a compté sur nos divisions, habituellement si profondes, son erreur a été grande et elle a été bientôt dissipée. Comme par enchantement, tous les Français se sont trouvés d’accord, et les pacifistes les plus forcenés, les socialistes unifiés les plus antimilitaristes ont fait bloc contre l’abominable agression dont la patrie était l’objet. Un crime odieux a coûté la vie à M. Jaurès au moment où, comme nous tous, il s’inclinait devant l’obligation qui nous était imposée et témoignait sa confiance à un gouvernement auquel il avouait n’avoir aucun reproche à faire. Ses obsèques ont eu lieu avec recueillement et, sur le cercueil de l’homme qui avait si souvent maudit la guerre, il n’est pas jusqu’à M. Jouhault, le représentant de la Confédération générale du travail, de la fameuse C. G. T., qui n’ait annoncé qu’il allait partir pour la frontière et a juré que tout le monde ferait son devoir. Pas un mot imprudent, pas un cri déplacé. L’Allemagne a refait partout l’union des âmes. Dans la France entière le sentiment est le même. Tout le monde comprend que, comme l’ont dit les ministres anglais, l’heure est grave et que la lutte qui va s’ouvrir sera terrible, mais chacun a fait résolument le sacrifice