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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/109

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force son domaine, ils trouvaient encore moyen de le voler ! Et à peine venait-on d’achever ces quatre premières expropriations, que déjà d’autres victimes étaient désignées, celles-là de condition plus modeste, comme, par exemple, un paysan du village d’Ociar, M. Tyrakowski, sommé de « céder le plus rapidement possible à un voisin allemand » sa parcelle de terre, faute de quoi celle-ci lui serait enlevée d’office par la Commission de Colonisation ! Durant l’année 1913, 27 propriétés de plus de 2 000 hectares tombaient entre des mains allemandes, et le gouvernement prussien élevait jusqu’à un milliard le total de ses fonds de « germanisation. »

Aussi la surprise avait-elle été grande, de part et d’autre, dans le camp des « expropriations, » comme dans celui de leurs futures victimes, lorsque, depuis le début de la présente année 1914, l’ardeur exterminatrice des autorités prussiennes avait semblé se ralentir. Dès le mois de décembre 1913, une réunion de « patriotes » allemands de Posnanie avait « vivement critiqué l’attitude actuelle du gouvernement à l’égard des Polonais, » et déploré dans la politique de germanisation « un arrêt éminemment préjudiciable aux intérêts allemands. » Avec instance, la réunion exigeait : « 1° de nouvelles expropriations ; 2° des mesures propres à dépoloniser les villes ; 3° une pratique plus énergique, dans les écoles, de la politique antipolonaise. » Mais non, décidément, le pouvoir « fléchissait ! » On apprenait même avec stupeur que, dans certains endroits de la Posnanie, des sociétés de préparation militaire autorisaient leurs membres polonais à arborer des drapeaux où les couleurs rappelaient un peu celles de la Pologne ! « Il vient d’arriver un incident assez curieux à Buk, en Silésie, — écrivait par exemple un journal polonais. — Un agent de police, ayant remarqué ces drapeaux « dangereux, » a cru qu’il était de son devoir d’intervenir. Jamais il n’a voulu comprendre qu’il pût être permis « en Prusse, à « qui que ce soit, d’arborer des insignes aussi séditieux. »

Ce que « ne voulait pas comprendre » l’agent de police de Buk, personne en vérité ne le comprenait dans les provinces polonaises de la Prusse, jusqu’au jour où la déclaration de guerre s’est enfin chargée de tout expliquer. Désormais « Hakatistes » et Polonais s’accordent à deviner les motifs qui, depuis plusieurs mois, ont arrêté le gouvernement prussien dans son œuvre de » germanisation ; » et j’imagine que volontiers même, dans les régimens occupés à envahir la Belgique ou à défendre la Lorraine, on permettrait aux soldats polonais de chanter dans leur langue leurs vieux chants nationaux, si l’on espérait pouvoir ainsi fermer leurs oreilles à la proclamation du grand-duc Nicolas.