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IMPRESSIONS d’un COMBATTANT.

vieilles sculptures noires, et de la préfecture où on affiche les nouvelles officielles (car les journaux parisiens n’arrivent plus depuis quelques jours.) Mais la foule devient si nombreuse devant ces affiches qu’il faut renoncer à en approcher ; un soldat alors les lit à très haute voix dans le silence religieux des assistans qui par moment acclament une joyeuse nouvelle : action de l’Angleterre, défense de Liège, etc. — Mais la voix de Stentor lui-même n’eût pas porté jusqu’aux derniers rangs de la foule qui, vers le soir et dès le second jour de l’apparition du « Bulletin des Communes, » se presse sur la curieuse place Saint-Pierre, entre l’église Renaissance si curieuse et la vieille mairie où on voit encore, sous l’aigle de Charles Quint, des inscriptions de l’époque révolutionnaire. Les autorités municipales ont eu alors une idée fort ingénieuse. Elles ont fait tendre au milieu de cette place, sur deux énormes poteaux, une grande toile blanche large de peut-être dix mètres de côté et, le soir venu, on y projette d’une fenêtre de l’Hôtel-de-Ville, comme sur un écran de cinéma, les nouvelles que vingt mille yeux palpitans de curiosité peuvent lire ainsi en même temps.

Que de rencontres imprévues dans les rues : amis de Paris ou d’ailleurs qu’on n’a pas vus depuis des années et qui surgissent soudain au coin d’une rue, plus ou moins galonnés et empanachés ! De joie, on en oublie parfois un instant le respect dû aux galons, et la hiérarchie s’efface devant la camaraderie. La façon dont les dizaines de milliers de réservistes et de territoriaux de toutes armes qui viennent se concentrer ici ont été équipés, habillés, armés, nourris, mérite l’admiration. Je n’eusse point rêvé un ordre pareil, une organisation aussi bien faite et aussi rapide, des prévisions si minutieuses et où rien n’a été oublié. Certes, chacun fait de son mieux, tous paient de leur personne au maximum, mais tout ne marcherait pas comme cela si la préparation n’avait été admirable. La confiance dans le succès final s’en trouve affermie.

Les employés de la poste, ceux des services civils circulent munis de leur brassard. Ceux de la ville ont un brassard aux couleurs belges (noir, jaune et rouge) : et de voir ici ces couleurs sœurs des nôtres, en un pareil moment, cause une joyeuse surprise, une émotion, aux non-initiés. Les autres savent que ce fait curieux est dû simplement à ceci que Besançon a les mêmes couleurs que la Belgique parce qu’elle appartint comme