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les Pays-Bas à Charles-Quint et que son grand ministre, le cardinal de Granvelle, fut un Bizontin.

Je passe sur de menus incidens qui ne troublent guère les habitans : espions fusillés à la citadelle, auto fusillée pour avoir franchi les avant-postes placés aux portes de la ville sans donner le mot. J’aperçois un matin un long défilé d’autos de livraison des « Galeries Lafayette, » qui ravitaillent maintenant une division de cavalerie. Ô fanfreluches, « occasions, » mille riens qui passionnaient tant les Parisiennes, c’est par de gros quartiers d’appétissante viande qu’on vous a remplacés !

Presque chaque soir, des bataillons de chasseurs, des régimens formés dans la place traversent la ville, se rendant à la gare et le Chant du départ, cet hymne si beau, supérieur à mon sens à la Marseillaise elle-même, et celle-ci dont on ne se fatigue pas, sortent de toutes ces poitrines, rythmés par le martèlement alerte sur les pavés des pas que le sac plein à craquer et le fusil n’arrivent point à alourdir.

J’y ai été plusieurs fois, dans cette gare de Besançon-Viotte ; j’y ai passé des heures attendant l’arrivée de mon frère affecté à un régiment de la place ; quel spectacle réconfortant ! Presqu’à chaque minute, avec une régularité admirable, venant de l’Ouest, venant de toute la France, des longs trains de troupes la traversent, fleuris et ornés de branchages, et des milliers de jeunes visages, artilleurs, alpins, cavaliers, fantassins, l’air frais et dispos comme s’ils ne venaient pas de passer de longues heures en wagon nous sourient, nous parlent, et nous envoient des chants. Dans les wagons de queue, les chevaux régimentaires solidement amarrés, leurs gardiens assis dans la paille au milieu d’eux, nous regardent aussi familièrement, déjà habitués à ces choses. Sur les wagons de marchandises, qui en majorité constituent ces trains de troupes, des artistes improvisés ont tracé des dessins humoristiques dans lesquels des guerriers à casque à pointe n’ont pas des attitudes brillantes. Des inscriptions joyeuses aussi. Je relève, sur plusieurs trains venant de diverses régions de la France, celle-ci, qu’une coïncidence sentimentale bien typique a fait répéter comme si on s’était donné le mot : « Train de plaisir. » Que de choses bien françaises, dans ces trois mots griffonnés partout à la craie !

Une chose par-dessus tout a donné dans ces journées à la ville une physionomie bien particulière : l’arrivée des Alsaciens.