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beaucoup tenu, serait encore plus changé que nous ne le croyons s’il avait cessé d’en faire cas. Aussi la ville de Paris a-t-elle éprouvé une vraie satisfaction, au moment où le corps diplomatique l’a quittée à la suite du gouvernement, d’apprendre que l’ambassadeur des États-Unis y était resté, que son successeur y était venu, que son prédécesseur y était revenu. Ce sont des témoins que l’Amérique a au milieu de nous, qui regardent, qui voient et qui sauront parler.

L’attitude de Paris est d’ailleurs admirable de sang-froid et de courage. Quelle différence avec le Paris de 1870, qui ressemblait à une cuve en ébullition, où les élémens les plus troubles, toujours violens, souvent impurs, apparaissaient presque seuls à la surface ! Aujourd’hui le calme de la population est absolu : on a pris par avance son parti de tout ce qui peut arriver, et on attend. Un petit fait a montré l’état des esprits, nous voulons parler de l’avion allemand qui, plusieurs jours de suite, a volé sur la ville en y jetant des bombes. Ces bombes, à la vérité, n’ont fait à peu près aucun mal. Non seulement Paris n’a pas pris au tragique la menace de l’avion allemand, mais il ne l’a même pas pris au sérieux et, s’il faut le dire, s’en est amusé : il y avait presse, dans les rues, pour regarder passer l’oiseau mécanique. On a été heureux toutefois d’en être débarrassé, lorsque des avions français ont commencé à apparaître à leur tour : on l’avait assez vu. Et enfin la situation générale commençait à devenir préoccupante. L’avion avait fait l’effet d’un jouet assez inoffensif, mais toutes les pensées se tournaient vers la grande armée d’invasion, qui continuait sa marche sans que rien eût pu encore l’arrêter, et qui chaque jour approchait de Paris. Si les choses continuaient ainsi, on commençait à calculer à quel moment le canon allemand se ferait entendre. Un jour, on a appris que le gouvernement avait quitté la ville et qu’il s’était dirigé sur Bordeaux. L’exode n’avait été ni annoncé, ni préparé, ni exécuté ostensiblement, ce que nous avons d’ailleurs regretté. On pouvait craindre quelque panique : ne fallait-il pas que le danger fût imminent, puisque le gouvernement s’en allait ? En fait, l’impression a été nulle. Le gouvernement a laissé derrière lui une proclamation qui expliquait la résolution qu’il avait prise, mais tout le monde l’avait comprise et admise par avance. On a trouvé naturel que le gouvernement s’éloignât, non pas à cause du danger, s’il y en avait, mais parce que, son devoir s’étendant à la France entière, il ne pouvait pas s’exposer, soit à être enfermé dans Paris, soit, si l’enceinte de défense était forcée sur quelque point, à être la victime d’un coup de main. Un gouvernement doit rester toujours