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libre de son action. C’est ce qu’a senti le gouvernement belge lorsqu’il s’est transporté de Bruxelles à Anvers, et aussi le gouvernement serbe lorsqu’il a quitté Belgrade pour se mettre en sûreté à Kragujewatz. Maintenant, si notre malheur veut que les Allemands viennent à Paris, ils peuvent le faire avec un minimum d’inconvéniens pour la défense nationale. Ils ne trouveront ni un gouvernement avec qui traiter, ni un établissement financier à rançonner, car la Banque de France a suivi le gouvernement, après avoir mis son encaisse en sûreté, et les grands établissemens de crédit ont imité cet exemple. L’entrée des Allemands à Paris serait pour eux un avantage moral dont nous ne dénions pas la valeur, mais un bénéfice matériel très réduit.

La situation, cette fois encore, est tout autre qu’en 1871. A cette époque, la chute de Paris a entraîné celle de la France : Paris succombant, la résistance n’était plus possible ailleurs. Nous étions épuisés et, n’ayant pas d’alliés, nous n’avions aucune assistance à attendre du dehors. La capitulation de Paris rendait disponible l’armée allemande qui l’assiégeait et dont l’énorme masse devait retomber sur nos armées de province, déjà exténuées. Aujourd’hui, au contraire, notre ressource et notre espoir sont dans nos armées restées intactes, et si une armée allemande assiège Paris ou cherche à y pénétrer, elle y usera là une force offensive qui aurait été peut-être plus efficace ailleurs. Enfin, puisque c’est à propos du départ du gouvernement de Paris que nos souvenirs se sont reportés à 1870-1871, marquons encore, avec le passé, une différence importante. Le gouvernement de la Défense nationale étant, dans ses élémens principaux, composé des députés de Paris, se fit scrupule de le quitter. Paris était à ses yeux non seulement la capitale, mais une sorte de ville sainte que l’honneur ne permettait pas de déserter, et on vit le spectacle dérisoire d’un gouvernement qui, restant à Paris, envoyait en France, pour remplir son rôle, une délégation composée de MM. Glais-Bizoin, Crémieux et Fourichon. On ne pouvait, relativement à Paris, faire à la France plus petite part ! Par bonheur, Gambetta comprit ce que la situation avait de paradoxal : il s’échappa de Paris en ballon pour aller porter à la Délégation de Tours l’appui de son âme ardente, de son intelligence et de son activité. La Délégation prit alors une allure nouvelle : tout le possible fut fait et l’honneur sauvé. Mais c’était une grande faiblesse pour la France que le gouvernement fût bloqué à Paris, sans même en excepter le ministre des Affaires étrangères, Jules Favre, qui, dans sa superstition parisienne, hésita