Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 23.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus ou moins complète. Ceux-là, probablement, les sages. Dans la contrainte résolument acceptée, il y a plus de liberté peut-être que dans la révolte continue. Si telle est, au bout du compte, la vérité, un Maurice Barrès l’agrée : M. André Gide la refuse. Voilà précisément la position de M. André Gide, dans le démêlé auquel nous assistons et qui confère à la littérature d’aujourd’hui sa grandeur.

La parabole de l’Enfant prodigue, il l’a inclinée à son gré, comme ceci. Fatigué de sa fantaisie, l’Enfant prodigue est revenu de sa longue absence. Il est retourné au jardin qu’enferment des murs et d’où jadis il désirait de s’évader. Son père l’accueille, et sa mère. Son frère aîné le réprimande ; et il reçoit, des êtres et des choses, une leçon de quiétude résignée : « Bénie soit ta fatigue ! » lui dit-on. Mais il a un frère puîné qui, cette nuit, ne peut dormir et qui l’interroge. L’enfant qu’il ne connaissait pas l’a vu revenir à la maison couvert de gloire. — « Hélas ! j’étais couvert de haillons… » Ces haillons, l’enfant les a vus couleur de gloire. L’enfant prodigue avoue : « La liberté que je cherchais, je l’ai perdue ; captif, j’ai dû servir. J’ai voulu m’arrêter, m’attacher enfin quelque part… » Le petit enfant, qu’il admoneste avec son repentir, s’en ira. Et, lui, son repentir n’est bientôt plus d’être parti, mais revenu. Et quand le petit enfant, prodigue à son tour, s’en ira, l’ancien enfant prodigue lui dira : « Il est temps à présent. Le ciel pâlit. Pars… Puisses-tu ne pas revenir ! Descends doucement. Je tiens la lampe… — Ah ! donne-moi la main jusqu’à la porte. — Prends garde aux marches du perron… » La parabole du retour est devenue la parabole du perpétuel départ.

Et nous ne savons pas où ira la pensée de M. André Gide, vagabonde et qui ne semble ni lasse de ses belles aventures, ni résolue à ne jamais se reposer,


ANDRÉ BEAUNIER.