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que fussent les hypothèses auxquelles on se livrait, l’épreuve seule devait montrer dans quelle mesure elles se trouveraient conformes à la réalité. Napoléon a dit, dans des pages admirables qu’il a consacrées à commenter les Commentaires de César, qu’il n’y a rien de nouveau à la guerre, sauf les armes qui portent plus ou moins loin, font plus ou moins de ravages, et modifient par là les conditions de la tactique sur le champ de bataille, sans changer les principes de la stratégie. Les fusils et les canons portent dix fois plus loin qu’autrefois et la rapidité du tir a plus que décuplé. Dès lors, comment s’étonner que les fronts de bataille occupent une étendue qui est aussi beaucoup plus considérable ? Les plus grandes batailles d’autrefois paraissent mesquines à côté de celles de maintenant. Il fallait y déployer autant de génie, car les proportions ne font rien à la chose, et autant de courage, quoique ce courage eût une autre forme, mais il était difficile de se rendre bien compte, avant d’en avoir fait l’expérience, de l’immense quantité d’hommes dont on aurait besoin pour remplir les intervalles sur un front aussi démesuré.

Ces masses numériques, si elles ne sont pas absolument une nouveauté, ont changé l’allure des batailles et les ont malheureusement rendues plus meurtrières. Nous avons dit que le courage se manifestait aujourd’hui autrement qu’autrefois. Autrefois, en effet il consistait à se jeter en avant et à faire des charges héroïques : il consiste à présent à subir sans broncher sous le feu, — et quel feu ! — aussi longtemps que le commandement le juge nécessaire, les coups d’un ennemi lointain et invisible. On disait autrefois de l’infanterie qu’elle était la reine des batailles : aujourd’hui, c’est plutôt à l’artillerie qu’on attribuera cette qualité. Les batailles auxquelles nous assistons sont d’immenses combats d’artillerie. Pour toutes ces raisons, le soldat, qui autrefois se contentait pour se dissimuler de se servir du terrain tel qu’il était, fait maintenant davantage ; il se met sous terre. Il quitte un moment le fusU pour prendre la pelle et la pioche et creuse des fossés, des retranchemens dans lesquels il se met à couvert. Et cela non plus n’est pas absolument une nouveauté, car il n’y en a pas à la guerre plus qu’ailleurs, mais jamais le procédé ne s’était généralisé comme nous venons de le voir et n’avait pris un développement aussi prodigieux. Pourquoi ne pas le dire ? Les Allemands se sont montrés du premier coup des maîtres consommés dans ce nouveau système de guerre, qui a été évidemment chez eux le résultat de mûres réflexions, de longues études, d’une préparation très attentive, très prévoyante. Après avoir perdu la bataille