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de la Marne, ils ont battu en retraite avec une précipitation qui n’a pas été exempte de quelque désordre, mais ce désordre a été de courte durée, car ils savaient fort bien où ils allaient ; ils avaient préparé, machiné d’avance la ligne de défense où ils s’étaient proposé de s’arrêter. C’est alors qu’a commencé sur l’Aisne cette seconde bataille, qui dure depuis un mois et n’est pas encore terminée au moment où nous sommes. On était surpris autrefois par l’offensive de l’ennemi, on l’est aujourd’hui par sa défensive ; mais la surprise est d’une autre sorte : elle oblige à s’armer de patience. Au lieu de livrer une bataille dans l’ancienne acception du mot, nous avons à faire un siège, et un siège aussi interminable par l’étendue du front assiégé, que par la durée de la résistance. Les Allemands ne se sont pas contentés de le soutenir derrière leurs fortifications improvisées : ils ont fait des sorties fréquentes, presque continuelles, auxquelles ils ont apporté un acharnement furieux, mais qui ont été presque toujours repoussées. Ils se terraient alors dans leurs retranchemens, pour recommencer bientôt. Inutile de dire que nous avons profité de leur exemple et que nous nous sommes, nous aussi, couverts de retranchemens dont nous étions toujours prêts à nous élancer, soit pour refouler l’ennemi, soit pour l’attaquer. Mais la situation ne changeait guère, et on pouvait même se demander si elle changerait jamais. Les jours, les semaines passaient. On se faisait une guerre d’usure : une armée cherchait à épuiser l’autre par les fatigues qu’elle lui imposait ; malheureusement, elle se les imposait aussi à elle-même. Le souvenir des lignes de Torrès-Vedras revenait à la mémoire. La différence est que ces fameuses lignes n’avaient que quelques kilomètres de long, tandis que celles de l’Aisne en avaient plusieurs centaines. La ressemblance était dans le fait que, comme les Anglais à Torrès-Vedras, les Allemands et nous pouvions nous ravitailler indéfiniment en vivres et en munitions. À moins d’un hasard favorable, on n’apercevait pas la fin de cette guerre de siège, qui n’est pas celle dont notre caractère national s’accommode le mieux.

Le seul moyen d’en sortir était une manœuvre stratégique de grande envergure. Quand on a pu supposer que l’ennemi était suffisamment fatigué, nous avons vu se dessiner cette manœuvre, qui consistait à déborder son aile droite et à menacer par derrière la ligne de défense qu’il avait si fortement établie et si obstinément défendue. L’ennemi ne pouvait pas laisser couper sa Hgne de retraite et de ravitaillement : s’il risquait de la perdre, il devait reculer. Ici nous