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masses aussi profondes. Ce sont là des choses nouvelles dans l’histoire du monde ; elles donnent à la guerre actuelle un caractère de grandeur qui la distingue de toutes celles qui ont précédé. Napoléon Ier avait fait le rêve de ranger toute l’Europe sous son sceptre et d’en faire marcher tous les soldats sous ses étendards : un siècle après lui, il ne s’agit plus seulement de l’Europe ; l’Amérique, l’Asie, l’Afrique, l’Océanie envoient leurs contingens se battre sous les drapeaux unis de l’Angleterre, de la France, de la Russie. Jusqu’où seront reculées au siècle prochain les limites du possible?

Dans cette immense levée de bouchers, la Belgique occupe une place d’honneur. Sans elle, le sort de la guerre aurait été très différent de ce qu’il est. Nous savons et nos alliés savent, eux aussi, ce que nous lui devons tous : aussi est-ce avec émotion que nous avons accueilli le gouvernement belge sur notre territoire, au moment où les rigueurs de la guerre l’ont amené à y chercher un refuge. M. le président du Conseil a dit combien nous étions fiers d’avoir été choisis par notre noble voisine pour assurer à son gouvernement une pleine sécurité. Le gouvernement belge est chez lui au Havre : sa souveraineté peut s’y exercer librement. Bientôt d’ailleurs, il rentrera chez lui victorieux, a Si j’étais mon petit-fils, disait Napoléon au plus fort des revers qui ont précipité sa chute, je me relèverais du pied des Pyrénées. » Il sentait ce qui lui manquait. La dynastie belge n’est pas très ancienne, mais trois souverains s’y sont déjà succédé et elle se confond aujourd’hui avec le pays lui-même. Dans les épreuves qu’elle traverse, la Belgique a consolidé son indépendance, et nous ne dirons pas que le roi Albert a affermi sa couronne, car elle n’avait pas besoin de l’être, mais il lui a donné la consécration de la gloire qui est aussi une force, surtout lorsqu’elle vient d’un malheur héroïquement supporté.

Si nous regardons maintenant du côté de l’Est, nous y trouvons de nouveaux motifs d’espérance et de confiance. On pouvait se demander si la bataille d’Augustöw que les Russes ont récemment gagnée était seulement un incident heureux, ou si, au contraire, elle était sur toute !a ligne une reprise des hostilités dans des conditions meilleures, C’est la seconde hypothèse qui se réalise et, à vrai dire, nous n’avons jamais douté qu’il en serait ainsi. Les Russes sont entrés en campagne avant d’avoir réuni toutes leurs forces; ils y ont fait une entrée brillante, comme il convenait à leur courage, mais nous n’oserions pas dire qu’ils n’aient pas commis quelque imprudence lorsqu’ils se sont hardiment, prématurément, jetés sur la Prusse