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nous avoir délivrés d’eux. Comment moi, pour qui la civilisation et la barbarie sont des choses d’importance, comment aurais-je pu haïr une nation qui est une des plus civilisées de la terre, à qui je dois une si grande part de mon propre développement? La haine nationale est une haine particulière. C’est toujours dans les régions inférieures qu’elle a le plus d’énergie et le plus d’ardeur. Mais il y a une hauteur à laquelle elle s’évanouit ; on est là pour ainsi dire au-dessus des nationalités; on ressent le bonheur ou le malheur d’un peuple voisin comme le sien propre. Cette hauteur convenait à ma nature, et longtemps avant d’avoir atteint ma soixantième année, je m’y étais fermement établi. » Si cette hauteur convenait à la nature marmoréenne de Gœthe, elle ne convient pas à tout le monde et nous ne la recommandons pas comme un sommet auquel il faille aspirer ; mais il est bizarre, quand on a lu Gœthe, d’entendre revendiquer son grand nom pour recommander le militarisme prussien. Les savans allemands peuvent seuls se permettre des rapprochemens aussi imprévus.

Est-il vraiment nécessaire de démontrer, de prouver une fois de plus que l’Allemagne a voulu et provoqué la guerre ? Sur ce point, la lumière a été faite avec tant d’éclat par la publication du Livre Bleu anglais qu’aucune contestation ne peut plus être admise. Cela n’est pas vrai, n’en protestent pas moins les savans allemands. Eh bien ! Messieurs, c’est à vous de le prouver: où sont vos preuves? Vous n’en donnez aucune, vous demandez à être crus sur parole : c’est trop exiger! « Il n’est pas vrai, dites-vous encore, que nous ayons violé criminellement la neutralité de la Belgique. Nous avons la preuve irrécusable que la France et l’Angleterre, sûres de la connivence de la Belgique, étaient résolues à violer elles-mêmes cette neutralité. » Vous avez cette preuve? que ne la donnez-vous? Il est vraiment fâcheux pour M. de Bethmann Hollweg qu’il n’en ait pas fait état devant le Reichstag, lorsqu’il lui a annoncé la résolution de passer outre aux protestations qu’il reconnaissait « fondées, » — c’est son mot, — du Luxembourg et de la Belgique, et de violer leur territoire. Il s’est contenta de dire: « Ou s’en tire comme on peut! » N’était-ce pas le moment de fournir la preuve? Mais il semble bien qu’on ne l’ait découverte qu’après coup, le viol une fois perpétré, en fouillant dans les papiers laissés à Bruxelles par le gouvernement belge. .Celui-ci a protesté contre la duplicité dont on l’accusait et sa protestation suffirait pour nous convaincre de l’inanité de l’accusation. Ne joue-ton pas ici sur une équivoque? Toutes les publications militaires allemandes ne cessaient d’annoncer qu’en cas de guerre, l’armée impériale