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spéciale à ces deux statues de la Visitation. Mais, vraiment, la statuaire gothique serait bien peu digne de nos éloges, si elle s’en était tenue à ne faire que des copies d’œuvres qui, si belles soient-elles, avaient ce défaut d’être si profondément éloignées de sa pensée, et de toutes les idées qu’elle avait à exprimer. A Reims, autour de ces copies, ne suffit-il pas de regarder toutes les autres statues, œuvres pures de la pensée d’un sculpteur français, pour voir la faiblesse de cet art d’imitation et la grandeur de l’art français agissant dans la plénitude de son indépendance ? Est-ce une Vierge vraiment, est-ce une sainte Elisabeth, que nous pouvons reconnaître dans ces corps si lourds, dans ces toges romaines, dans ces mouvemens sans justesse et sans vraie signification ? Comment peut-on les regarder, lorsqu’à côté d’elles il y a une autre Vierge, si vraie dans son attitude et son expression, si virginale par son regard, si simple dans son costume, dans sa robe unie tombant toute droite, et dans le léger manteau qui enveloppe sa figure et descend sur ses épaules, jeune vierge champenoise, beauté charmante aimée par le sculpteur qui s’est plu à la représenter fidèlement deux fois, dans le motif de l’Annonciation et dans celui de la Présentation ? Ces deux statues et celles qui les accompagnent sont les perles les plus rares de l’art français, des œuvres sublimes que nous adorons sans pouvoir rien leur préférer.

Dans l’intérieur des églises gothiques, c’est le vitrail qui est l’essentiel, c’est lui qui a tout commandé. Au début du moyen âge, dans les édifices construits dans les pays du Nord, l’éclairage présentait une grande difficulté. Il fallut multiplier et agrandir les fenêtres : mais, en le faisant, on ne laissait plus sur les murs les surfaces nécessaires pour le développement des peintures qui semblaient être l’ornement indispensable de nos églises chrétiennes. N’ayant plus de murs à peindre, on peignit les fenêtres. Et le résultat, dès le premier moment, apparut si merveilleux que désormais tous les efforts tendirent à supprimer les murs aussi complètement que possible, afin de faire une église toute de verre, peinte avec des rayons de soleil. Voilà le secret de la beauté exceptionnelle de l’art gothique, de cet art où les murs semblent ne plus exister, où rien n’emprisonne le regard, où de partout l’on voit apparaître des visions du ciel. C’est une architecture où tout nous éloigne de l’idée d’une chose terrestre, d’une chose faite pour des êtres humains :