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un rêve, une hallucination, des maisons de pierre soulevées, suspendues dans les airs, se dressant dans la lumière, comme affranchies des lois de la pesanteur, légères comme des nuées, fragmens du ciel. Plus rien qui ressemble à une toiture ou à des murs. Ce sont des piliers légers, des flèches à jour, montant toujours plus haut, semblant s’évanouir à leur sommet comme des fumées d’encens, demeures pour des âmes et non plus pour des corps. Par ces clochers à jour, par les fenêtres, il semble que les anges puissent descendre jusqu’à nous. La terre s’unit au ciel.

Au point de vue des vitraux, la cathédrale de Reims tient sa place à côté des grandes cathédrales, à côté de celles de Paris et d’Amiens, mais sans marquer sur ce point aucun grand progrès, comme elle le faisait par sa façade. Cela tient à ce que l’intérieur de cette cathédrale est plus ancien que sa façade d’un demi-siècle. Dans les vitraux des fenêtres supérieures, les seuls qui subsistent du XIIIe siècle, nous voyons le motif si fréquent alors de deux figures superposées, motifs allongés qui convenaient bien aux fenêtres encore relativement étroites de cet âge-Pour voir l’épanouissement complet de l’art du vitrail, il faut attendre le XVe et le XVIe siècle.

Au point de vue du vitrail, Reims toutefois présente une intéressante nouveauté, et c’est sa façade qui nous la révèle. Dans les cathédrales antérieures à celles de Reims, et à Paris notamment, seule une grande rose s’ouvrait sur la façade, et lorsque dans l’intérieur de l’église on la regardait, on voyait bien l’éclat de cette rose, mais elle n’était pas suffisante pour éclairer cette paroi qui faisait l’effet d’un grand mur noir. C’était un grave défaut auquel il s’agissait de remédier. A côté de la grande rose, il fallait d’autres vitraux, mais où les mettre ? C’est ce problème que l’architecte de Reims a heureusement résolu, en perçant le tympan des trois portes et en remplaçant par des vitraux les sculptures qui le décoraient : Et, sans doute, vue de l’extérieur, la façade peut y perdre quelque chose par suite de la suppression d’une partie de ses sculptures. Mais, à Reims, les portes et toutes les parties de la façade sont si chargées de sculptures que cette suppression est de peu d’importance et peut passer inaperçue. Et en tout cas ce n’est qu’un petit mal en vue d’un très grand bien. Grâce à cette innovation, le mur de la façade qui jusqu’alors, vu de l’intérieur, faisait une si fâcheuse tache,