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erreurs qui pourraient être funestes parfois. Si on me demandait mon avis, — mais on ne me le demandera pas, — je proposerais d’ailleurs d’adopter en ce cas l’heure de l’Europe centrale qui aurait de nombreux avantages sur lesquels, ailleurs et en des temps moins troublés, j’ai déjà appelé l’attention.

Ce bon clocher de Soppe-le-Bas, en outre de l’heure que marque sa vieille horloge, a encore autre chose de bien français : la croix de fer qui le surmonte, carrément et crânement inclinée sur la boule qui la porte, évoque en moi, je ne sais pourquoi, le képi de nos pioupious toujours incliné sur l’oreille à l’encontre des casques à pointe qui sont toujours droits et dans l’axe. Nul n’ignore, en effet, que dans l’armée de l’empereur Guillaume, il suffit qu’un soldat par mégarde n’ait pas son casque exactement dans l’axe, pour s’entendre traiter avec urbanité de « cochon de Français, » par les sous-officiers. Nos soldats racontent que cette inclinaison de la croix de Soppe-le-Bas a été causée par un de nos aéros qui la frôla récemment de son aile. Se non e vero

Vers onze heures du soir, tandis que je griffonne hâtivement ces notes, ma lampe est sans doute la seule encore allumée dans le bourg, car tout à coup j’entends le choc vigoureux d’une poignée de sabre contre la porte de la maison. Je me précipite pour ouvrir la fenêtre et je reconnais le général Pau, descendu de son auto à l’entrée du village et qui me demande le logement du commandant de notre groupe. Sa figure haute en couleur, aux yeux perçans, barrée d’une moustache énergique et toute blanche, sa pipe, sa belle stature, sa manche vide où pend un bras artificiel muni d’une main de fer, — ce qui lui fait deux mains de fer, — sa démarche élastique, tout cela est déjà populaire parmi les soldats. Ils se sentent pleins de confiance en cet homme qu’ils voient sans cesse sur la brèche, courant les cantonnemens et les lignes de bataille à toute heure du jour et de la nuit, comme s’il ignorait la fatigue, l’âge, le sommeil.

Le lendemain à la première heure, conduites par nos artilleurs, nous voyons passer les six pièces allemandes de la batterie que nous avons conquise la veille sur l’ennemi à Dornach. Je rappelle à nos lecteurs que la batterie allemande est de six pièces, la nôtre de quatre seulement. Le sextuple et magnifique trophée s’arrête près d’une heure à Soppe-le-Bas et j’en profite pour l’examiner de près. Les pièces sont teintes en gris vert et non