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pas en gris bleu comme les nôtres. Leur âme (et il semble qu’il n’y ait qu’elles à avoir une âme dans l’armée allemande…) leur âme a un diamètre de 77 millimètres, de deux millimètres plus grand que notre 75. Au premier abord, elles paraissent moins longues, moins élancées que celui-ci. Cela tient sans doute à ce que le frein sur lequel elles reposent arrive presque jusqu’à la bouche du canon, tandis que notre frein hydropneumatique est beaucoup moins long. Le couvre-bouche et le couvre-culasse sont en cuir fauve, et non noir, comme dans notre 75. Les appareils de pointage paraissent à la fois plus compliqués et moins précis que notre collimateur. Il en est de même de la culasse qui s’ouvre latéralement un peu à la manière d’un tiroir. Près de la bouche on relève sur le canon, fondue en relief dans le métal, l’inscription : « GLORIA ET PATRIA » surmontant l’aigle impériale, et, au-dessus de la culasse, sous les initiales W R entrelacées sur un II (ce qui prouve que ce sont des pièces prussiennes) les mots : « ULTIMA RATIO RECIS. » Ce « suprême argument du roi » ne manque pas d’allure ; mais il a je ne sais quoi d’insolent et de brutal, de très prussien en un mot. Et puis, notre bon 75 prouve que le suprême argument de la République vaut bien celui du roi de Prusse. Une autre inscription nous apprend que ces canons appartiennent, ou du moins appartenaient au XIVe corps d’armée allemande. Les boucliers où sont encore fixées la pelle et la bêche réglementaires sont, ainsi que les roues, complètement bossues et criblés de trous.

C’est l’ouvrage de la section de notre 42e d’infanterie, qui a eu l’honneur de prendre cette batterie. Notre feu a été si meurtrier qu’en quelques instans, tous les hommes, tous les officiers, tous les chevaux ont été tués, à l’exception d’un seul servant qui, me dit un témoin, a continué à faire, tout seul et très froidement, le service de sa pièce, réussissant à tirer plusieurs coups, jusqu’à ce qu’une balle bien placée l’ait envoyé dans l’Erèbe rejoindre ses camarades. Celui-là était un vrai brave.] Je remarque aussi que les boucliers de ces canons sont munis, du côté de la bouche, de deux sièges destinés aux servans. Ce dispositif n’existe pas chez nous, où les servans sont toujours ou bien sur les avant-trains, ou bien à pied. Les obus prussiens sont empilés dans de longs cylindres d’osier fort joliment tressés, ma foi.

Je désire emporter quelque souvenir de ce premier et