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boulevard. La pluie qui survient bientôt nous fait nous réfugier rue Saint-Fiacre, à la salle du Néorama.

Nous y admirons l’intérieur de Saint-Pierre et celui de l’abbaye de Westminster ; ces deux vues sont d’une exactitude saisissante ; elles nous mettent en goût de visiter aussi au Château-d’Eau la salle du Diorama, où l’on expose le tableau de Daguerre représentant le tombeau de Napoléon à Sainte-Hélène. M. d’Houdetot en a fait la description à la Reine ; il l’a vu lui-même il y a peu de temps avec Louis-Philippe, et toute la famille royale ; les journaux ministériels n’ont pas manqué alors d’annoncer cette visite, comme une sorte d’hommage rendu par les d’Orléans à la mémoire de l’Empereur.

Nous sommes à la veille du 5 mai, jour anniversaire de la mort du grand homme ; cette date éveille chez la Reine un sentiment de curiosité pieuse et, malgré le risque qu’elle court d’y être reconnue, la pousse à s’aventurer dans cette salle, pour y voir le coin de terre où son père adoptif repose depuis dix ans.

Le tableau n’est pas au-dessous de l’éloge fait par M. d’Houdetot. C’est la morne perspective de la vallée des géraniums, à Sainte-Hélène : maquis profond, désert, dont les arêtes hérissées s’abaissent rapidement vers la mer.

Le point de vue a été pris un peu au-dessous du tombeau, là même où l’Empereur venait souvent s’asseoir et où il avait choisi l’emplacement de sa sépulture. On voit à l’horizon, par l’étroite échappée ouverte sur l’Océan, le soleil qui se couche dans des brumes rougeâtres. A gauche, le sentier qui amenait l’illustre captif en ce lieu se dessine à flanc de coteau ; il conduit aujourd’hui la pensée vers Longwood, vers tout ce qu’il y a souffert sous le joug du farouche Hudson Lowe. De là, le regard renaît à cette rougeur de crépuscule, symbole d’une grande gloire qui s’éteint, et l’on songe : Pourquoi ce lieu, et non pas un autre ? Qui donc aurait pu marquer d’avance ici l’achèvement de cette carrière ? Et quel sentiment de petitesse n’éprouve-t-on pas à voir couché sur si peu d’espace celui qui commandait au monde ?

La foule qui nous entoure se livre sans doute à des réflexions semblables, car elle est grave, recueillie ; mais je ne vois pas sans crainte la Reine mêlée de si près à tout le monde, dans une ville où elle a tenu une place considérable et où son