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qui donnera certainement plein pouvoir à l’Empereur. En voilà pour une dizaine d’années encore. Quelle société va sortir de cela ? Une décadence complète des arts, des idées et des mœurs. Heureusement, il y a le grand mot de Pascal qui est éternellement vrai et qui s’applique à la société comme à la nature. Je te l’envoie. Il console de tout. Il est mathématiquement vrai, dans le temps et dans l’éternité : « La nature agit par progrès, itus et reditus ; elle passe et revient, puis va plus loin, puis deux fois moins, puis plus que jamais. » Nous sommes dans le deux fois moins[1]. »

Que faire dès lors, sinon songer en son tranquille gîte de Nohant, écrire, rêver, regarder pousser les plantes, aimer surtout les petits êtres qui, depuis le mariage de Maurice avec la fille de Calamatta, embellissaient son foyer, bref, savourer les joies de mère et d’aïeule ? C’est dans une paix patriarcale, compensation de tant d’illusions perdues, que s’écoulait pour elle cette fin de l’Empire, qu’elle augurait plus longue de dix ans. Dans un apaisement qui n’était point une abdication, l’auteur de Lélia, devenue la Bonne-Dame-de-Nohant, répandait auprès et au loin les bienfaits de son activité sereine, ici sur des paysans, là parmi les amis ou les frères du travail intellectuel, dans ses lettres à Dumas, à Flaubert, à Harrisse et à tant d’autres. La mort d’un petit-fils, Marc-Antoine, avait rendu plus étroite encore la chaîne qui enlaçait tendrement grand’mère, fils, belle-fille, et les petites-filles Aurore et Gabrielle (Lolo et Titite.) De jeunes neveux, petits-fils de son demi-frère Hippolyte Chatiron, sont aussi très près de son cœur. Sa fille inquiète et inquiétante, Solange, est en ce moment plus rapprochée d’elle qu’elle ne l’a jamais été, même aux jours cruels de son deuil, quand elle perdit sa fille : elle a fait trêve à ses caprices de jolie femme second Empire, et semble avoir mis résolument le cap sur le travail. Elle a un roman sous presse, dont sa mère corrige les épreuves. Elle élabore une pièce de théâtre où l’Algérie d’Abd-el-Kader est représentée par les personnages de Sélim et d’Amrou. Enfin, elle s’applique aussi à la botanique, et envoie à sa mère des fleurs pour son herbier. George Sand disserte avec elle trois mois avant la guerre, sur « l’hypécoon procumbens, vulgairement le cumin cornu. » Bref, jusqu’au coup de tonnerre de

  1. A Solange. Lettre du 20 avril 1870. (Inédite.)