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L’ALSACE FRANÇAISE.

raît comme une idylle patriarcale sous un voile de légende. Comparée au présent, sa douceur semble une cruelle ironie. Sous la monarchie de Juillet comme sous le second Empire, l’industrie florissante du Haut-Rhin avait répandu l’aisance et la richesse dans le pays. Dans le Bas-Rhin, à Strasbourg, s’était développée une vie intellectuelle active. On accourait à son Université de tous les pays. La Faculté de médecine et de droit, la Faculté des lettres, comme la Faculté de théologie protestante, s’appliquaient à commenter les idées et les méthodes de France et d’Allemagne en les comparant et en les combinant souvent avec bonheur. Des deux côtés du Rhin, on appréciait ces travaux. Les Français apprenaient à connaître la littérature et la philosophie allemandes. Les Allemands, qui, à cette époque, étaient encore idéalistes, y trouvaient une rigueur et une clarté qui manquaient souvent à leurs idées profondes, mais confuses, si bien qu’un métaphysicien wurtembergeois disait alors à un critique alsacien : « Depuis que vous ne résumez plus mes livres, je ne sais plus exactement ce que je pense. » On conçoit l’idée généreuse que cette largeur d’esprit et ces échanges féconds firent naître alors dans la tête d’un certain nombre d’Alsaciens et de Français de marque, à savoir que l’Alsace était destinée par sa situation géographique à devenir un trait d’union entre l’Allemagne et la France, après avoir été, pendant des siècles, une cause de division entre ces deux grandes nations. Là pourrait s’opérer une sorte de synthèse de leurs deux civilisations si diverses, mais faites pour se compléter. Là les intellectuels des deux pays pourraient se rencontrer et s’instruire réciproquement sans renoncer à leur originalité. Les villes de Genève et de Liège n’ont-elles pas déjà joué un rôle analogue dans l’histoire de la pensée européenne ? La Suisse romande et la Belgique, ces petites Frances vivaces et indépendantes, n’ont-elles pas envoyé à la grande France des essaims d’idées nouvelles, et même quelques génies créateurs ? Telle fut la pensée de Nefftzer, le fondateur du Temps, et de Charles Dollfus, fondateur de la Revue germanique, qui rendit à « on heure d’éminens services en mettant la France au courant du mouvement intellectuel de l’Allemagne, alors peu connu chez nous. Cette idée fut chaleureusement approuvée par les premiers écrivains français, qui, par l’étendue de l’esprit et la puissance du talent, dirigeaient l’opinion publique et for-