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A Senlis, cependant, on s’était installé. Le vaste pillage, aussitôt, de commencer. (Proportion : soixante-quinze des maisons sur cent.) Beaucoup flambaient comme de grandes torches. On fracturait les coffres-forts, on forçait les meubles. Ville conquise. Un paralytique (septuagénaire) qui gémissait, on le traîna dehors, et à coups de botte on lui brisa les jambes… Demeures abandonnées, certains hôtels largement ouverts, ils firent ripaille. Les caves se vidèrent. A l’hôtel du Nord, coupable, au temps de la garnison, d’avoir hébergé les officiers de hussards français, les officiers de hussards allemands saccagent. Leur bel espionnage les avait, préalablement, renseignés… « Vous aviez le mess, ici ! » ricanèrent-ils, en arrivant. Champagne, vins fins et liqueurs, — tout ce qu’en contenait l’hôtel, — leur est monté au premier étage. Ils y tiennent quartier, dansent lourdement, au son d’un gramophone. Ils ne dessaouleront pas de quatre jours, ivres morts au point qu’un des leurs, lorsqu’ils évacueront, sera oublié dans le bâtiment en flammes. Les zouaves l’y égorgèrent, vautré.

C’est le 5, après-midi, — la veille de leur définitif départ, — que le crime monstrueux fut accompli. Crime prémédité. L’archiprêtre de Senlis a certifié qu’un colonel, chez lui logé, lui tint ce propos : « Demain vous n’aurez plus de ville. Elle sera brûlée, détruite. Nous allons faire de Senlis un nouveau Louvain. Ce sera notre Louvain français… »

Il faut, à tout crime, un mobile. Quel fut le prétexte de celui-ci ? Les coups tirés par les habitans. Or, nous avons vu que seuls les belligérans français firent feu. C’était plus que leur droit : leur devoir… « Pour expliquer leurs cruautés et leurs violations de droit, les Allemands ont répandu le bruit que les civils auraient tiré sur eux à leur arrivée dans la ville de Senlis. Des personnes de cette ville accordent même une certaine créance à ces dires. Je les ai interrogées, et il leur a été tout à fait impossible de fournir même des suppositions de preuves. » Tels sont les termes, formels, de l’enquête officielle faite par un commissaire spécial. Alors ? Reste, sans doute, la vraie raison : Senlis désertée par Senlis, cela, et la rage de renoncer à la descente sur Paris, le sadique besoin de se venger sur d’inoffensives pierres, qui incarnaient un pur visage de France.

Dès le 5, l’infernale besogne recommença. Les préposés au crime vont de maison en maison, et, dans les édifices publics.