Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’être reconnus par la foule, que neveux et nièces du pontife défunt sortirent de ce Quirinal où, la veille encore, ils parlaient en maîtres.


Durant la vacance du Saint-Siège, le pouvoir était exercé par le cardinal-camerlingue. C’était alors Alexandre Albani, le neveu de Clément XI. Revêtu de la pourpre à vingt-neuf ans, camerlingue avant la quarantaine, comblé de bénéfices, chargé d’honneurs, il avait été l’objet de toutes les complaisances de son oncle. Sous Benoît XIII, il s’était signalé par sa rupture éclatante avec le cardinal Coscia et avait ainsi conquis le cœur du peuple. Éloigné de Rome jusqu’à la mort de ce pape, il avait ensuite prétendu à la tiare. Devenu l’implacable adversaire de Clément XII, son rival heureux, il avait groupé autour de lui les ennemis des Corsini, fait échec au nouveau gouvernement et traversé de toutes manières les desseins du cardinal-neveu. Partisan de l’Empereur parce que le Pape tenait pour la France, il avait eu, lors de la succession de Pologne, une attitude si outrageante pour le beau-père de Louis XV, que celui-ci avait ordonné à ses représentans de ne plus frayer avec lui. Le président de Brosses nous a laissé de ce terrible prélat un peu séduisant portrait. « Il est, dit-il, extrêmement considéré pour sa capacité, haï et redouté à l’excès : sans foi, sans principe, ennemi implacable, même quand il parait s’être réconcilié, inépuisable en ressources dans les intrigues, la première tête du collège et le plus méchant homme de Rome. » Aux termes du cérémonial, c’était au camerlingue qu’il appartenait de vérifier le décès du Souverain Pontife. Arrivé au Quirinal, Alexandre Albani, suivi des cardinaux, gagna donc l’appartement du Pape. Parvenu à la chambre mortuaire, il en heurta la porte à deux reprises. N’obtenant point de réponse, il fit mine de l’enfoncer et pénétra dans la pièce où Clément XII reposait, comme il avait expiré. Alors, s’approchant de la couche funèbre, il appela à haute voix Laurent Corsini, tandis que, d’un marteau d’argent, il frappait trois fois le front du cadavre. « Eminentissimes seigneurs, le Saint-Père est mort, » dit-il, en se tournant vers l’assemblée. Le cardinal Ottoboni, chancelier de l’Eglise, dressa aussitôt l’acte de décès, que signèrent le camerlingue et un cardinal de chaque ordre. Tous quittèrent ensuite la chambre,