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malheureux provoqua de surcroît une explication fort pénible entre Tencin et l’archevêque de Monreale. À l’issue du scrutin, le premier blâma tout haut le protecteur d’Espagne de s’acharner « contre un candidat auquel la cour de Madrid n’était pas si opposée. » Acquaviva ne le laissa pas achever : il n’avait, dit-il brusquement, ni compte à rendre, ni leçons à recevoir, « che sapevacio che faceva et che a lui spettava de’ eseguire gli ordini del suo sovrano ; » d’ailleurs Tencin se repentirait peut-être un jour « de suivre servilement Corsini. » Et, sur ce, Acquaviva s’en fut, digne et courroucé !

Le sens de ces paroles menaçantes n’apparut point sur l’heure à Tencin. Il ne le découvrit qu’au bout de quelques jours, en apprenant que le camerlingue et ses alliés se préparaient à accuser, en pleine séance, le neveu de Clément XII d’avoir, du vivant de son oncle, opéré des malversations dans les finances pontificales ! L’attaque fut conduite par le cardinal Cibo, patriarche de Constantinople et grand prieur de Rome : le 5 mai, ce prélat demanda en effet à Corsini comment la Chambre Apostolique se trouvait endettée de quatre millions d’écus, quand elle avait encaissé « du fait de la loterie et des indemnités de l’Espagne pour le passage des troupes » une somme presque équivalente. Flairant un piège, Corsini esquiva la question et, pour toute réponse, il reprocha au camerlingue d’avoir autorisé un semblable débat, car seul le nouveau pape avait qualité pour réviser les comptes de son prédécesseur. Cette habile repartie retourna l’assemblée en faveur de Corsini et, lorsqu’il se fut rassis sur son trône, les applaudissemens éclatèrent.

Corsini avait si prestement évité le coup préparé par Albani, que celui-ci, désespérant d’atteindre ce trop souple adversaire, résolut de traiter avec lui. Il reprenait ainsi tardivement, et pour son propre compte, l’idée que le cardinal de Rohan lui avait jadis exposée en pure perte ! À l’instigation du camerlingue, le grand pénitencier Petra, doyen de la promotion de Benoît XIII, vint donc proposer aux chefs de la faction Corsini « de concourir à l’élection d’un membre du vieux collège, » le cardinal Gotti. Flatté de la démarche d’Albani et n’ayant aucune prévention contre ce candidat, « moine jacobin, ayant quelque science monacale, assez de piété et de crédit, » Corsini inclinait à lui promettre son appui : Rohan et Tencin s’y opposèrent « avant de connaître l’opinion des cardinaux de couronne avec