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Ils adhérèrent sans réserve au projet de Corsini. Le succès de l’affaire semblait dès lors assuré. Acquaviva pouvait-il en effet s’opposer à un cardinal, son proche parent d’abord, et fort ami ensuite du roi de France, auprès duquel il avait séjourné comme nonce ? Ce fut lui pourtant qui fit échouer la brigue. « Il est Napolitain, écrivait-on de lui à Fleury, peu après l’ouverture du conclave, et veut un pape napolitain : il ne sait rien en dehors de cela et les intérêts de la couronne d’Espagne passeront après. » Jamais prédiction ne se trouva plus justifiée. Tout en promettant de voter pour Delci, Acquaviva déplora amèrement que l’on n’eût pas choisi « Ruffo, Napolitain et sujet de la maison de Bourbon, » au lieu d’un « Florentin, sujet de l’Empereur : » ces récriminations laissèrent Tencin en doute. Et lorsque le 27 mai, au sortir du scrutin où Delci n’avait obtenu que vingt-cinq voix, le cardinal de Monreale « vint insinuer qu’il était encore temps de faire adopter Ruffo, » Tencin comprit qu’il avait été joué. Pour « faire adopter Ruffo à tout prix, » le perfide Acquaviva, bien loin d’encourager ceux de son groupe à voter pour Delci, leur avait donné lui-même l’exemple contraire. Incrédule à l’ordinaire, Corsini se refusa toutefois « à croire à tant de noirceur » et ne voulut pas retirer son candidat. Au scrutin du lendemain, celui-ci n’obtint que vingt-quatre voix et, les jours suivans, il n’en regagna aucune. Fatigué bientôt de ce « ballottage inutile, » Delci pria lui-même ses confrères « de ne plus songer à lui, et le conclave retomba dans l’inaction. »

Pensant que sa ruse n’avait pas été éventée et que, dans le parti Corsini, nul ne songeait à lui imputer l’échec de Delci, Acquaviva résolut de faire une dernière tentative en faveur de Ruffo. Le 6 juin, payant d’audace, il pria Tencin et Rohan de lui prêter leur concours. Ceux-ci refusèrent : « ayant partie liée avec les couronnes, » dirent-ils, « ils ne pouvaient soutenir un prélat napolitain, car l’Empereur y serait délibérément opposé. « C’est une domination, répondit Acquaviva, c’est une tyrannie qu’on ne doit point souffrir et qui doit surtout réunir contre luy (l’Empereur) tous ceux qui sont attachés à la maison de Bourbon. » Impassibles, les deux cardinaux répliquèrent, non sans ironie, que, si l’on pouvait faire changer la règle d’union avec les couronnes qui leur avait été imposée, ils iraient volontiers à Ruffo. A son tour, le protecteur d’Espagne était joué ! Voyant