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vie. Le plus honnête critique avoue ses prédilections ; vous êtes avertis : désormais, de quoi vous plaindriez-vous ? Le critique le plus intelligent veille à entendre et à ne point mésestimer ce qu’il n’approuve pas ; et mieux il est sûr de sa doctrine, sûr aussi de sa fidélité à ses idées, moins il tâtillonnera autour d’elles. Qui tient une fois ses principales certitudes est plus libre que personne, a plus d’aisance et a une aimable franchise. Tel nous apparaît M. Gilbert, si heureux à la lecture de livres variés, content si le livre lui célèbre ses croyances, et encore très satisfait si l’auteur, un mécréant, rachète par quelque talent sa folie. Les poètes spiritualistes l’enchantent ; mais il ne méconnaît pas la verve de M. Albert Giraud qu’il intitule cependant « poète du paganisme en Belgique. » Enthousiasme et bonhomie, voilà en deux mots sa manière, extrêmement agréable. Notons que, très attentif à la pensée des écrivains, il ne néglige pas d’apprécier l’art et le style. Parfois, il gronde le prosateur qui s’est dépêché. Je le voudrais plus sévère pour un assez grand nombre de néologismes qu’emploient sans discernement, à mon avis, la plupart des romanciers belges ; et lui-même ne semble pas détester cette façon d’écrire, assez amusante et prime-sautière, mais dangereuse : ce n’est rien, ou presque rien.

France et Belgique : M. Gilbert étudia pareillement des littérateurs français et des littérateurs belges ; le roman social et philosophique en France, le roman social et philosophique en Belgique ; le roman provincial français, et le belge ; l’humour français et l’humour en Brabant ; les romanciers de la tradition française et le roman régionaliste en Belgique ; les poètes chrétiens, dans les deux pays ; les essayistes belges et les essayistes français. Il n’établit pas, entre les uns et les autres, un parallèle et il n’aboutit pas à vanter ceux-ci par-dessus ceux-là. D’origine française et d’habitude belge, il s’est plu, dit-il, à « confondre, dans son ouvrage, l’activité littéraire des deux nations. » Il a montré, par ce rapprochement, la fraternité morale et intellectuelle de la France et de la Belgique : belle fraternité, que les événemens ont embellie.

Allons plus loin, la littérature belge dérive de la littérature française. Ce n’est pas la diminuer, que de signaler cette dépendance première. En d’autres termes, la Belgique a présentement une littérature qui provient d’une littérature française plus ancienne, au même titre que notre littérature contemporaine. Dans la préface qu’il donnait, il y a neuf ans, à la première série de France et Belgique, M. Bourget mentionnait comme évidente et profonde l’influence qu’a exercée