Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désuet, d’une douce monotonie. La population ouvrière ne donnait pas dans les idées nouvelles… » Ces nuances, pour les démêler, il faut avoir observé longtemps la petite ville ; et même, ce n’est pas l’observation la plus adroite qui vous les fait apercevoir : c’est une intimité constante qui vous les fait deviner. Ainsi pouvons-nous suivre sur un cher visage le passage à peine visible d’un émoi.

M. Virrès est le peintre du Limbourg, contrée farouche et à laquelle sa misère donne « une sorte de majesté. » Des sapinières sombres, des étendues crayeuses ; de distance en distance, des villages aux toits rouges ; les chaumières ne sont pas appuyées les unes contre les autres, mais séparées et tristes dans leur isolement ; des marais, des landes violacées de bruyères ; et des dunes. Les habitans peinent à la besogne : êtres bizarres, qui ne révèlent guère leurs passions, et qu’on dirait mornes, et que brûle une ardeur singulière, « mystiques jusqu’à la superstition, emportés par l’amour et la volupté de vivre jusqu’aux plus sanglantes folies. » L’œuvre de M. Virrès, M. Gilbert l’appelle « une bible du Limbourg, » tant il y voit et il y sent, vivante, réelle, l’âme de ce pays. Dans la Terre passionnée, un paysan, Paul Nisse, fuit avec sa bien-aimée : triomphe de leur double enchantement ! Puis, à l’instant de quitter le village, Paul Nisse est pris de désespoir. Et il crierait, car il souffre. Mais il se maîtrise : Maria, sa bien-aimée, souffre également. Tous deux cheminent, par la nuit claire qui projette leurs ombres sur la route. Ils ne se tiennent pas l’un auprès de l’autre ; l’amoureux va devant. Maria gémit. Paul se retourne, la regarde : elle sanglote. Elle dit : « Je ne veux pas aller plus loin !… » Peu s’en faut que la « terre inséparable » ne laisse pas s’éloigner ce couple éperdu. Paul Nisse épousera sa bien-aimée. Sa bien-aimée le trompera ; et alors il voudra se sauver, n’être plus au pays de sa honte et de ses larmes. Il ne pourra pas partir. Il se réfugiera dans sa cabane et dormira sur le sol ; pour apaiser sa douleur, il aura l’éveil du printemps. Les personnages qu’a inventés M. Georges Virrès, en quelque aventure qu’il les emmène, sont dominés par une forte passion, « — la plus enracinée des passions flamandes, »— l’amour de la terre natale, fut-elle âpre, dure à leur travail, dénuée de grâces séduisantes. « Singulier pays ! Tes rustres semblent si doux. Tes hommes et tes femmes se ploient au labeur, à la vie misérable, d’un cœur résigné et confiant. Tes gens sont pieux. Je les vois, le dimanche, après la grand’messe, faire le chemin de croix, leurs visages transfigurés par l’onction ; et ils prient, les bras étendus, comme les saint Jean et les Vierges des calvaires. Vienne le soir, viennent les heures