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dans le détail pittoresque et amusant, le même don d’attraper vite l’exacte vérité, la même patience à l’égard de quelque vulgarité, la même adresse à rehausser, par la justesse de la copie et par son élégante habileté, la médiocrité banale d’un sujet.

Tout art est une poésie ; et cela ne veut pas dire que l’artiste doive chercher son thème hors du spectacle quotidien. Mais alors, quelle poésie trouvera-t-il dans l’humble village où il demeure, sur la route où il se promène parmi les forains et les rustres endimanchés ? Cette banale médiocrité, comment la relèvera-t-il ? C’est toute la question du réalisme littéraire. Eh bien ! le sentiment qu’on ajoute à l’authentique réalité l’ennoblit. Nos écrivains, en général, recourent à quelque ironie ingénieuse, moquerie indulgente et, souvent, satire assez rude. La haine que nourrissait Flaubert contre la bassesse des bourgeois anime, excite les pages qu’il a consacrées au récit de leur tran-tran. Le concours agricole, dans Madame Bovary, est le portrait d’une laideur, admirable portrait par la maîtrise du peintre en colère. Et un Zola, quand il accumule les ignominies de la Terre, aboutit à une espèce de beauté, par la fureur de son chagrin. Or, plus d’une fois, M. Gilbert, analysant l’œuvre des réalistes belges, les compare à l’auteur de Bouvard et Pécuchet, roman de la plus douloureuse raillerie.

Je ne prétends pas que les réalistes belges ne doivent rien du tout à Flaubert : il a donné à la littérature des directions impérieuses. Mais enfin, le réalisme de M. des Ombiaux ne ressemble point à celui de Flaubert, non, pas plus que M. Virrès, un pessimiste, n’est l’élève de Zola. Ce qui, à mon avis, caractérise les réalistes belges, ce n’est pas ce génie de la caricature auquel nous devons Bouvard et Pécuchet, formidables bonshommes et les héros de la bêtise humaine : c’est, au contraire, la bienveillance. M. des Ombiaux ne déteste pas et même ne trouve pas ridicules ces magistrats municipaux, si drôlement enrubannés et coiffés de dahlias ; il a pour eux une cordiale sympathie. La fête sur la route ne lui déplaît aucunement ; loin de la dénigrer, il en apprécie la simplicité joyeuse.

Et voici un humoriste belge, M. Léopold Courouble : un Jean Steen, dit M. Gilbert. Sous le titre de la Famille Kaekebroeck, M. Courouble a réuni quatre nouvelles qu’on ne peut lire, assure M. Gilbert, « sans rire aux larmes » et qui sont des études de mœurs bruxelloises. L’une des héroïnes, Mme Keuterings, on la rencontre habituellement dans « le bas de la ville, » corpulente, couverte de bijoux, chaînes, croix, boucles d’oreilles. Un chapeau rutilant de jais, de perles et de fleurs, chapeau « percé » qui, au sommet, livre passage à l’édifice des