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redoutent ou qui reçoivent des nouvelles funestes, avec la France et les autres patries qui voient succomber leurs meilleurs enfans, avec l’Église qui assiste, impuissante, aux discordes mortelles de ses fils. Au nom de la Victime divine qui s’offre au Sacrifice de la Messe, comme elle s’offrit sur le Calvaire, nous avons ensemble prié Dieu d’abréger ces jours de douleur, de les faire servir au progrès de (nos âmes et a l’avancement de l’humanité.

11 heures du soir. — Je viens d’assister un soldat irlandais mourant et un officier français atteint de tétanos, tous deux en salles isolées. L’après-midi, avaient eu lieu nos deux premiers enterremens. Les décès commencent. Il est à craindre qu’on n’en ait beaucoup, puisqu’en raison des secours dont dispose l’hôpital comme chirurgiens et salles d’opérations, nous sommes outillés pour les cas les plus graves.


22 septembre. Quatre enterremens aujourd’hui ! Tous d’Anglais. L’un d’eux était catholique. J’ai suivi le convoi et béni la tombe. Le long trajet d’ici au nouveau cimetière était spécialement lugubre : ces quatre corbillards, suivis d’une foule sympathique sans doute, mais cependant étrangère, et finalement, la sépulture en cette fosse commune.

Comme je montais dans ma chambre tout à l’heure, après souper, j’ai rencontré le corps d’un de ceux que j’avais assistés hier soir. Les infirmiers avaient dû le déposer un instant dans le couloir, pour ouvrir des portes. La forme blanche était là par terre, complètement enveloppée. Je me suis agenouillé près d’elle pour une bénédiction et pour une prière.

C’est l’atmosphère que la guerre nous fait et où nous allons vivre, pendant combien de mois ? On y a peu de temps et peu de courage pour écrire. Ce matin, cependant, dans ma tournée de visites, j’ai entendu et noté un récit, bien vivant, qu’il me suffira de reproduire. Il est tout à fait « nature ; » tout au plus, guiderai-je un peu le narrateur pour maintenir l’ordre chronologique. Quant à l’authenticité absolue, elle ne peut faire doute. Mon soldat était né à Paris et avait passé quatorze ans à Bordeaux ; mais son récit fut contrôlé et à l’occasion complété par un camarade, son voisin immédiat, qui avait suivi, ou subi, les mêmes événemens :