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contraints de servir contre leur propre patrie, n’est-ce pas un défi au bon sens et à la justice ? Paix boiteuse et mal assise qu’une paix semblable ! Le miracle est qu’elle ait pu durer quarante-trois ans.

Cette paix de Damoclès, comme l’appelait notre ami Novikoff, a pris fin. Qui s’en étonnerait ? Ce ne sont pas, en tout cas, les amis de la paix véritable, sincère, stable, de la paix qui peut sortir, et qui sortira, de la cruelle, mais dernière convulsion imposée au monde.


De la guerre actuelle, nécessaire peut-être, ou pour mieux dire inévitable, qui est responsable ? L’histoire dira que ce sont l’Allemagne inféodée à la Prusse et l’Autriche inféodée à l’Allemagne.

Et, en effet, l’hégémonie européenne, ni la France, ni la Belgique, ni l’Angleterre, ni l’Italie n’y songeaient. Dans ces heureux pays, les peuples, sous des formes gouvernementales différentes, monarchies ou républiques, restaient maîtres de leur sort, ne demandant qu’au travail et à l’énergie de leurs enfans la richesse et la prospérité. Leurs citoyens, souvent divisés d’opinions, — car la liberté implique la discussion, — mais unanimes dans leur patriotisme, aimaient la paix et en acceptaient les conditions. La première est le respect de la liberté d’autrui.

En Autriche et en Allemagne, l’esprit était tout autre. Là, des populations plus lourdes, ouvertes parfois cependant à des cultures intellectuelles très hautes, si elles n’étaient pas assoiffées de sang ou de pillage, étaient malheureusement atteintes d’un mal terrible, inexorable : l’habitude de la soumission aveugle à des maîtres. Gardant le libre exercice de leur esprit dans le domaine de la raison pure, elles l’avaient abdiqué dans celui de la raison pratique. Il est difficile de voir en ces peuples des citoyens : ils n’en avaient pas l’âme. Tous mettaient leur vertu à obéir, et leur bagage politique était celui que leur confectionnait une presse vénale. Ils ne comprenaient pas que le métier militaire, si noble quand il s’agit de défendre la liberté de son pays, cesse de l’être quand il consiste seulement à revêtir un uniforme pour marcher à la suite d’un reitre quelconque, couronné ou non, sans s’embarrasser de savoir où il vous conduit.