Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/734

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
730
REVUE DES DEUX MONDES.

seulement de sa tête, mais de son cœur et de ses entrailles, et des entrailles de sa race. Jamais « la superbe bête de proie blonde » ne s’était confessée avec plus d’audace et d’impudeur.

Écoutons le péan barbare :

« Vous devez chercher votre ennemi et faire votre guerre, une guerre pour vos pensées ! Et si votre pensée succombe, votre loyauté doit néanmoins crier victoire.

Vous devez aimer la paix comme un moyen de guerres. Et la courte paix plus que la longue.

Je ne vous conseille pas le travail, mais la lutte. Je ne vous conseille pas la paix, mais la victoire. Que votre travail soit une lutte, que votre paix soit une victoire !…

Vous dites que c’est la bonne cause qui sanctifie même la guerre ? Je vous dis : c’est la bonne guerre qui sanctifie toutes choses.

La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain. Ce n’est pas votre pitié, mais votre bravoure qui sauva jusqu’à présent les victimes.

Qu’est-ce qui est bien ? demandez-vous. Être brave, voilà qui est bien. Laissez dire aux petites filles : « Bien, c’est ce qui est en même temps joli et touchant. »

On nous appelle sans cœurs. Mais votre cœur est vrai et j’aime la pudeur de votre cordialité…

Vous êtes laids ? Eh bien ! mes frères, enveloppez-vous du sublime, qui est le manteau de la laideur…

La révolte, c’est la noblesse de l’esclave. Que votre noblesse soit l’obéissance. Que votre commandement lui-même soit de l’obéissance !

Un bon guerrier préfère « tu dois » à « je veux. » Et vous devez vous faire commander tout ce que vous aimez.

Que votre amour de la vie soit l’amour de vos plus hautes espérances et que votre plus haute espérance soit la plus haute pensée de la vie…

Ainsi vivez d’obéissance et de guerre ! Qu’importe la vie longue ! Quel guerrier veut être épargné !

Je ne vous ménage point, je vous aime du fond du cœur, mes frères en la guerre !

Ainsi parlait Zarathoustra[1]. »

  1. Les Discours de Zarathoustra, p. 58 et suivantes.