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contre tous, — tout simplement : « Sus, sus ! dit Picrochole, et qui m’aime me suive ! » Chacun aura son tour, quiconque n’appartient pas à la belle race élue des maîtres, qui doivent asservir la planète. Mais il faut être patient, guetter l’heure et savoir ménager l’ennemi, jusqu’au moment favorable pour l’attaque. En tout temps, il y a des peuples débiles qui semblent, d’eux-mêmes, tendre le col au joug. On commencera par ceux-là : ce sont les peuples qui, ayant perdu le culte de la force, avec le sentiment de leur vaillance, se font les propagateurs d’une morale d’esclaves, la seule qui leur convienne. Pour ces doux, Nietzsche ne tarit pas en sarcasmes. Il leur jette l’injure à la face, il les appelle « bêtes de troupeaux, peuples-chiens, races inférieures ou dégénérées. » Ceux-là, il faut qu’ils disparaissent, pour céder la place aux forts. Pas de pitié pour eux ! Les épargner serait une injustice envers la Vie, puisqu’ils ne méritent pas de vivre :

« Tu ne tueras point, tu ne déroberas point ! Ces paroles étaient appelée saintes jadis : devant elles, on courbait les genoux et la tête, et l’on ôtait ses souliers.

Mais je vous le demande, où y eut-il jamais de meilleurs brigands et de meilleurs assassins dans le monde que ne l’étaient ces saintes paroles ?

N’y a-t il pas, dans la vie elle-même, vol et assassinat ?

Et, en sanctifiant ces paroles, n’a-t-on pas assassiné la vérité elle-même ?

Ou bien n’était-ce point prêcher la mort que de sanctifier tout ce qui contredisait et déconseillait la vie ?... mes frères,, brisez, brisez-moi les vieilles tables[1] ! »

Veut-on avoir la traduction de ce lyrisme d’apache en langage clair et prosaïque, et immédiatement contemporain ? Qu’on écoute cette interview d’un blessé allemand, un colonel bavarois, récemment hospitalisé dans une de nos villes méridionales. Comme, avec toutes les formes convenables, un prêtre en visite lui parlait des atrocités commises par ses compatriotes en Belgique et dans le Nord de la France, le colonel lui répondit : — « Ah ! c’est que ce n’est pas une guerre ordinaire ! C’est une guerre d’extermination ! Il ne s’agit pas de savoir qui gagnera une bataille, pour faire la paix ensuite. Il s’agit de savoir si la

  1. Zarathoustra