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ouvertement encore, le fameux apôtre du « pangermanisme » revendiquait, pour les États « supérieurs » en général et pour l’État prussien en particulier, la faculté de procéder à l’égard des petits pays neutres comme jadis certain loup à l’égard d’un agneau.


Voici notamment, dans le même recueil anglais, un article écrit par Treitschke le 25 octobre 1870, et intitulé : L’Allemagne et les Pays neutres. L’auteur, cette fois, ne s’occupe plus des droits présens de l’Allemagne vis-à-vis de ces pays, mais bien de son attitude future envers eux, et proprement du devoir qu’il y aurait pour elle à ne plus reconnaître, désormais, leur neutralité. Ne doutant plus de la prochaine victoire décisive des troupes allemandes, il veut que la Prusse mette à profit cette occasion merveilleuse pour se débarrasser d’un obstacle qui, depuis trop longtemps déjà, s’est dressé sur sa route. Cet obstacle consiste dans la neutralité, — ou, pour mieux dire, dans la libre existence, — d’un petit État attenant aux frontières prussiennes. Et Treitschke procède à sa requête dans les termes suivans :


Il nous répugne de revivre aujourd’hui le souvenir de l’odieuse transaction qui nous a naguère privés de ce territoire. Qu’il nous suffise de rappeler que, lorsque le gouvernement prussien a protesté contre la constitution du petit pays voisin en État indépendant, sa protestation s’est heurtée à la défaveur la plus formelle de toutes les puissances européennes.

Dans ces conditions, tous les modes possibles de corruption politique se sont répandus sur ce petit peuple. Tandis que la jeunesse allemande est en train de verser son sang pour la cause de l’Infini et de l’Éternel, les habitans du petit peuple neutre se plongent dans le plus bas matérialisme ; ils ne connaissent rien, ne veulent rien connaître, si ce n’est les affaires et l’amusement. Tandis qu’en Allemagne nous voyons s’élever lentement une conception nouvelle, plus morale, de la liberté, ayant ses racines dans l’idée du devoir, là-bas c’est une existence sans devoirs qui est regardée comme l’objet dernier de la vie…

Se peut-il que l’Allemagne continue plus longtemps à souffrir ce scandale européen, cette plante parasite accrochée au flanc de notre Empire ? Et cela lorsque nous avons un moyen de remédier au mal, à savoir : l’inclusion de l’ancien pays neutre dans l’Empire allemand. L’appui accordé jusqu’ici par la France à la neutralité de ce pays est, naturellement, en train de disparaître : il nous sera bien facile d’exiger du gouvernement français, à la conclusion de la paix, un acte formel reconnaissant d’avance l’entrée de l’ancien pays neutre dans la Confédération germanique. Et quant à l’adhésion des habitans eux-mêmes du pays, pour l’obtenir il nous suffira de quelques menaces d’ordre commercial. De telles menaces ne sauraient manquer de produire leur effet dans un pays où les considérations idéales ne trouvent plus d’écho, en dépit de la fiévreuse passion d’indépendance qui tourne aujourd’hui toutes les têtes de ce petit peuple.