Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 24.djvu/827

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

échec sur les champs de bataille, avait cessé d’exister. Où en sera-t-elle dans quatre autres mois encore ? La question est pendante, mais en dehors de l’Allemagne, autour de laquelle on a élevé une muraille de mensonges pour empêcher la vérité d’y pénétrer, on ne doute guère de la solution qui lui sera donnée.

Le gouvernement impérial s’en rend compte, lui aussi, et la preuve en est dans les explications, les défenses, les apologies qu’il multiplie pour justifier sa conduite, en même temps qu’il déverse sur ses adversaires les pires calomnies. S’il se sentait vainqueur sur les champs de bataille, il se soucierait médiocrement de faire ailleurs la conquête des esprits. Il répondrait à tout : Quia nominor leo, et se moquerait de critiques impuissantes. A ses yeux, la force s’impose par elle-même et n’a nul besoin de se justifier. Elle inspire d’abord la terreur, puis le respect, puis une sorte d’amour. Le professeur Adolf Lasson n’appelle-t-il pas l’Empereur Guillaume les délices du genre humain, delicîæ generis humani, uniquement parce qu’il est l’Empereur ? Et ne déclare-t-il pas M. de Bethmann-Hollweg le plus grand homme qui existe de nos jours, uniquement parce qu’il est chancelier de l’Empire ? Si c’était un autre qui était l’Empereur, c’est lui qui serait les délices du genre humain, et si c’était un autre qui était chancelier, c’est lui qui serait le plus grand homme du monde : cela tient à la fonction et nullement à la personne. Cette bassesse dans la courtisanerie est propre à l’Allemagne : le reste de l’univers s’en indigne ou s’en moque et le gouvernement impérial éprouve de ce fait quelque ennui. De là l’immense quantité de journaux et de brochures que la propagande germanique répand dans les deux hémisphères avec l’espoir d’influencer l’opinion des neutres. On tient aujourd’hui à cette opinion ; M. de Bethmann-Hollweg s’en préoccupait moins lorsqu’il parlait de la neutralité de la Belgique avec la désinvolture que l’on sait. Il avouait alors sans pudeur qu’il violait toutes les règles du droit des gens ; mais, disait-il, on fait ce qu’on peut et l’intérêt de l’Allemagne doit passer avant tout. Aujourd’hui, le ton est changé, et il est probable que l’imprudent chancelier donnerait beaucoup pour reprendre et retirer ses paroles ; mais elles restent et rien ne saurait les effacer.

Il a inventé une thèse nouvelle et vraiment imprévue, d’où il résulte que c’est la Belgique qui a violé la première sa propre neutralité, et que l’Allemagne se trouve ainsi justifiée de cet attentat. Comment M. de Bethmann-Hollweg le prouve-t-il ? Par des pièces diplomatiques qu’on a trouvées à Bruxelles, en fouillant dans les