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Ayant pour aïeules une Murat et une Beauharnais, il avait toujours été accueilli avec faveur à la cour des Tuileries, et c’est l’Empereur qui, après la renonciation plus ou moins spontanée d’un petit-fils de Louis-Philippe, le comte de Flandre, qui avait été élu, suggéra, dit-on, sous-main, la candidature du prince Charles de Hohenzollern aux Roumains à la recherche d’un roi. L’affaire fut arrangée entre Jean Bratiano, père du ministre actuel, et Mme Cornu, amie de Napoléon III, avec laquelle il s’était mis en rapport à Paris. Nos ministres, comme il arriva souvent, n’avaient pas été mis dans « le secret de l’empereur, » et c’est de la meilleure foi du monde que Drouyn de Lhuys télégraphiait, le 20 mai, à notre ambassadeur en Russie : « Vous pouvez affirmer hautement que le prince est parti à notre insu. Il est membre de la famille royale, il occupe un grade dans l’armée. Je ne m’explique pas qu’il ait pu, dans les circonstances présentes, s’éloigner sans l’agrément formel du Roi. » Quoi qu’il en soit, l’imprudence était grande de fournir un pareil encouragement aux ambitions prussiennes, et l’on sait quelles conséquences devait avoir, quatre ans plus tard, la candidature d’un autre Hohenzollern, Léopold, frère aîné de Charles, au trône d’Espagne !

Mais cette couronne qui lui était conférée par les Roumains, le jeune prince ne l’accepta qu’après avoir consulté le roi Guillaume, chef de sa famille, sans la permission duquel (ce sont ses expressions) il ne pourrait entreprendre un pas aussi important. Bismarck sentait toute l’utilité qu’il y aurait pour la Prusse à installer un prince allemand sur ce trône de l’Europe orientale, et il pressa le jeune homme de partir pour mettre les puissances en présence du « fait accompli. » Le roi Guillaume, au contraire, faisait de nombreuses objections, et déclarait notamment « qu’il lui serait très pénible de savoir un de ses parens sous la dépendance du Sultan. » La Porte était en effet suzeraine des principautés roumaines. Le prince Charles s’empressa de rassurer le Roi en lui disant qu’obligé d’accepter pour le moment cette suzeraineté humiliante, il s’en affranchirait par les armes dès que l’occasion s’en présenterait. Il ajouta qu’en toute circonstance il ferait honneur à son nom. Sur quoi, le Roi le congédia en le serrant dans ses bras avec ces paroles : Que Dieu te protège ! C’était le consentement tacite que le prince était allé chercher avant de répondre à l’appel des Roumains.