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la population était accourue en habits de fête, lançant, suivant l’usage roumain, des bouquets et des colombes en même temps que de joyeux vivats en l’honneur du nouveau souverain dont, la veille encore, elle ignorait le nom.

Quoi qu’en dise le prince dans ses Mémoires, ce n’était pas « le rejeton de la plus illustre famille d’Allemagne » que paysans et bourgeois acclamaient de la sorte, mais encore plus le candidat de l’Empereur des Français, « apparenté de deux côtés à Napoléon III et considéré même comme faisant partie de la famille Bonaparte, qui a été désignée par la main de Dieu pour donner au monde étonné deux Napoléon adorés comme des demi-dieux. » Ce sont les termes avec lesquels le gouvernement roumain avait chauffé à blanc l’enthousiasme populaire en annonçant la candidature du prince Hohenzollern, appelé à régner sur son peuple de race latine, ami de la France, reconnaissant envers nos écrivains, qui ont révélé sa véritable origine, longtemps ignorée de l’Europe, et envers l’Empereur qui, en favorisant l’union des principautés de Moldavie et de Valachie (1859), avait créé la nation roumaine. L’impopularité qui suivit de près les acclamations enthousiastes du début et qui poursuivit Carol jusqu’au jour où il eut mené sa jeune armée à la victoire, avait précisément pour cause initiale le désaccord manifeste entre ses sentimens et ceux de son peuple à notre égard.

Napoléon III put, en effet, constater très vite que le nouveau souverain de Roumanie, à peine installé sur un trône encore chancelant, cherchait à se dégager de la tutelle française pour prendre son mot d’ordre à Berlin. Cependant Carol aurait eu lieu de témoigner sa gratitude à l’Empereur, qui, à plusieurs reprises, lui rendit encore de bons offices en calmant l’irritation du Sultan contre l’orgueilleux vassal installé dans les Principautés sans l’autorisation de la Porte, et en autorisant, le premier, son représentant à Bucarest à employer le mot de Roumanie, au lieu de Provinces-Unies, à l’occasion des complimens de la nouvelle année (1867).

Le changement d’orientation dans la politique roumaine fui marqué notamment par le renvoi de la mission militaire française, naguère appelée par le prince Couza, et son remplacement par des instructeurs prussiens. On pouvait sans doute s’attendre à ce que le prince Garai, élève de Moltke, ayant reçu une éducation militaire prussienne, organisât son armée d’après le seul