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LA BELGIQUE MARTYRE.

paysans conservateurs, et qu’on leur a enlevés par scrupule, se changent soudain en un redoutable arsenal !

C’est d’ordinaire le lendemain d’une défaite qu’ont lieu les massacres. Le succès des soldats belges, les pauvres paysans belges le paieront ! C’est aussi lorsqu’avant l’entrée des Allemands au village, une audacieuse patrouille de carabiniers cyclistes, — on ne dira jamais assez le téméraire héroïsme de ceux-ci, — les a attaqués et meurtris. Ces carabiniers haïssables, — ils les appellent les schwartze Teufel, les diables noirs, — vont se muer tout de suite, dans leurs accusations, en francs-tireurs coupables. Ils classeront également parmi les francs-tireurs, selon les besoins de leur colère, les gendarmes et les gardes civiques. Ils détruisent Herve, Soumagne (cent quatre-vingt-deux habitans assassinés !), Romsée, Dolhain, Hastière, Surice, Visé, d’autres villettes et villages (il faudrait nommer tous ceux qui entourent Matines et Louvain), sans autre raison qu’un prétendu coup de feu. Parfois, au cours de leurs destructions, quelque soldat troublé éprouve comme un besoin maladif de se justifier : Vous avez tiré ! vous avez tiré ! répète-t-il aux habitans qu’il tue. À Louvain, un paisible fonctionnaire se présente aux Allemands, demandant timidement de pouvoir sauver ses archives. — Non ! lui répond-on, profitant de sa présence pour l’enfermer, vous avez été armé par votre administration, et vous avez tiré !…

Souvent la décision de détruire est prise depuis le matin, — voire depuis plusieurs jours, et le franc-tireur, deus ex machina, n’apparaît qu’au moment voulu. Des destructions sont annoncées par des Allemands naïfs ou compatissans bien avant la naissance du prétexte ou le commencement de la tragédie. Le 17 août, un officier loge chez un magistrat du Luxembourg. Dans la conversation, parlant des jolies villes du pays, le magistrat nomme Dinant. — « Hélas ! répond l’officier, Dinant, ville condamnée ! » Les Allemands ne réoccupèrent Dinant et ne l’assassinèrent que plusieurs jours après. À un habitant indigné, un chef condescendant déclare dans cette même ville qu’on agit par ordre. C’est sans raison qu’Andenne fut saccagée. On allégua plus tard une prétendue agression des habitans contre les troupes d’occupation : on n’a jamais su en quoi avait consisté cette agression ! À un notable d’Aerschot qui s’empresse aussitôt de fuir, un soldat conseille à l’avance de s’en aller : « On va