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consulaire et à qui l’on répondait : « Votre consul ? C’est un Allemand. Il est prisonnier de guerre. » Mais les autres n’étaient ni gênés dans leur commerce, ni surveillés dans leurs agissemens. Le Gouverneur obéissait sans doute aux mêmes raisons financières que son collègue de Hong-Kong. Il faut dire aussi que l’Angleterre ne consent qu’avec beaucoup de peine à se départir de son principe de liberté. Le Singapore Free Press remarquait que le traitement reçu par les Allemands dans les colonies anglaises contrastait avec celui qu’on leur infligeait partout ailleurs. « Ils y jouissent, disait-il, d’une hospitalité qu’ils ne connaissent ni en Indo-Chine ni à Vladivostock. » Cependant il ajoutait : « Passe encore pour les vieux résidens : on peut se fier à leur parole. Mais les jeunes ?… » La parole des vieux ne valait pas plus que celle de leurs cadets[1].

La confiance anglaise était d’autant plus imprudente à Singapore que l’on avait signalé, depuis quelque temps déjà, dans le détroit de Malacca et dans les mers voisines, la course hardie de deux croiseurs allemands, le Kœnigsberg et surtout l’Emden. Un navire de guerre anglais et deux torpilleurs qui battaient notre pavillon avaient quitté la rade et s’étaient remis en chasse. Mais on avait lieu de croire que les corsaires étaient avertis de tous leurs mouvemens. L’opinion publique soupçonnait moins l’espionnage allemand que la complicité des Hollandais. Du reste, il fallait bien que l’Emden eût un refuge ; et où l’eût-il trouvé, où se fût-il ravitaillé sinon dans une des baies de Sumatra, dont les rivages sont encore si déserts ? Les Hollandais de l’Extrême-Orient ne faisaient point mystère de leurs sympathies allemandes, qui étaient moins l’effet d’une amitié sincère pour l’Allemagne que d’une vieille rancune à l’égard de l’Angleterre. Dès qu’ils sortent de leurs îles, ils ont sous les yeux les ruines de leur empire, quelques pierres isolées dans le vaste enclos de la domination anglaise. À Ceylan, les troupeaux paissent parmi les tombes abandonnées de leurs anciens cimetières. Les Portugais, qu’ils avaient jadis dépossédés, sont devenus aujourd’hui les amis fervens de la

  1. Je lis dans le Temps du 29 novembre : « D’après les journaux d’Extrême-Orient, le Conseil de guerre, siégeant à Singapore, vient de condamner à 20 ans de travaux forcés un Allemand, résidant depuis longtemps dans cette ville, convaincu d’avoir correspondu par T. S. F. avec l’Emden auquel il donnait tous les renseignemens concernant le mouvement des navires de guerre et de commerce français, anglais et russes. »