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mais il en reste quelques autres à faire. Nous ne saurions trop dire à quel point notre absence au Vatican est un désavantage pour nous, ni combien il peut être exploité contre nous par une diplomatie aussi habile et aussi perfide que celle de l’Allemagne, sans parler de celle de l’Autriche, la « catholique Autriche, » pour laquelle un parti puissant travaille autour du Saint-Siège. C’est avoir une vue bien bornée que de s’entêter à ne pas voir ces choses que tout le monde voit ; mais de même qu’il n’y a pas de pires sourds que ceux qui ne veulent pas entendre, il n’y a pas de pires aveugles que ceux qui ne veulent pas voir.


Quant à la guerre, objet principal de nos préoccupations, nous n’aurions qu’à répéter ce que nous en avons déjà dit dans nos dernières chroniques, à savoir qu’elle se poursuit toujours dans de bonnes conditions pour nous, quoique très lentement, si nous n’avions pas à signaler la victoire éclatante que les Russes ont remportée contre les Turcs au Caucase, et aussi les progrès sensibles qu’ils ont faits dans les Carpathes, d’où ils menacent de plus en plus sérieusement la Hongrie. La défaite des Turcs a été une déroute ; tout un corps d’armée a été fait prisonnier. Qu’est devenue cette armée ottomane qui a eu de si belles heures dans l’histoire ? Victime d’une détestable politique, elle semble avoir perdu le ressort qui l’a rendue autrefois redoutable. Enver Pacha, qui était allé chercher au Caucase un peu de cette gloire qu’on ne trouve pas dans les seules intrigues politiques, ne l’y a pas rencontrée. Il est plus facile de passer sur le corps de Nazim pacha, abattu d’un coup de pistolet, que sur celui d’une armée russe. On ne sait même pas ce qu’est devenu Enver Pacha ; on n’a pas non plus de nouvelles précises du général Liman de Sanders, qui était parti avec ce jeune homme pour lui servir de Mentor. Le prestige de l’armée turque, déjà si entamé, ne survivra pas à quelques échecs du même genre et le monde islamique y regardera à plusieurs fois avant d’obéir à l’appel qu’il a entendu, mais non pas écouté, et à se jeter dans la guerre sainte.

C’est en cela surtout que la bataille livrée dans le Caucase est importante. Elle est trop éloignée du champ principal des opérations militaires pour y influer d’une manière très sensible, mais, si elle n’influe pas sur l’Europe, elle le fera sur l’Asie et sur l’Afrique. Dans ces vastes régions, l’imagination allemande s’était donné carrière. Elle n’y rêvait que soulèvement contre la Russie dans le Caucase et en Perse, contre l’Angleterre en Egypte, contre la France en