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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

courir à l’œuvre de Bismarck, à la fragile unité de l’Allemagne. Il est probable que le nouvel ambassadeur ne tient plus aux Romains de 1915 le même langage que l’ancien chancelier aux Allemands de 1913. Ses auditeurs d’aujourd’hui feront bien de relire les multiples et excellentes raisons qu’il avait, hier encore, de mettre en doute la durée de la tyrannie prussienne sur l’Allemagne et sur l’Europe. En sourdine et comme en refrain, il est une pensée qui revient à la fin de tous ses chapitres : autant M. de Bülow avait de confiance dans la force militaire de la Prusse, autant il avait de défiance dans la faiblesse politique de l’Allemagne, et tout le livre aboutit à cette conclusion pessimiste que, la monarchie des Hohenzollern ayant fait l’unité artificielle et provisoire des États allemands, leur union profonde et durable ne pourrait être obtenue que par un changement radical du tempérament germanique. Pour M. de Bülow, « l’esprit allemand » et « la monarchie prussienne » s’opposent comme deux termes antinomiques, dont la conciliation serait pourtant indispensable au salut de l’empire bismarckien : toute l’histoire germanique, depuis les lointaines origines jusqu’à l’heure présente, tout le développement interne de l’éternelle Allemagne servait d’argument à l’ancien chancelier pour démontrer à ses lecteurs la nécessité, mais aussi la quasi-impossibilité de cette entreprise.

L’Introduction à la Politique intérieure débute ainsi : « L’histoire de notre politique intérieure, abstraction faite de rares périodes lumineuses, est une histoire d’erreurs politiques, » et M. de Bülow ajoute un peu plus loin : « Il coulera beaucoup d’eau sous nos ponts jusqu’à ce que les faiblesses et les défauts innés de notre tempérament politique disparaissent. Le destin, qui, au su de tous, est un mentor distingué, mais coûteux, pourrait bien entreprendre de nous éduquer par le dommage que nous causeront encore les faiblesses inhérentes au caractère de notre peuple… Espérons qu’elles ne seront pas trop cuisantes, les épreuves qui ajouteront le talent politique aux dons nombreux et brillans que nous avons reçus de la nature… Je m’entretenais un jour à ce sujet avec un des directeurs du ministère, feu Althoff : « Ah ! que demandez-vous là ? répondit-il avec son humour coutumière. Nous autres, Allemands, nous sommes le peuple le plus savant de la terre et, en même temps, le plus capable à la guerre. Nous avons fait merveille dans tous les arts, dans toutes