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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

laire et de prétentions royales : tel était en paix ce régime de la forêt, que l’on a voulu décorer, que les « germanisans, » décorent toujours du nom de « libertés germaniques, » en l’opposant à la discipline rigide et permanente, à la « tyrannie » de l’État romain.

Encore ce régime de paix était-il traversé et bouleversé par l’organisation et par les conséquences de la guerre, laquelle était au moins annuelle soit à l’intérieur du gau entre hommes libres ou factions, soit entre gaus ou fédérations de gaus, de clairière à clairière, d’îlot à îlot, de région à région, sans compter les lointaines croisières de brigandage et de conquête. Gaulois et Germains d’autrefois, Éthiopiens et Soudanais d’aujourd’hui, ces gens des bois ne vivent que dans la haine et la défiance du voisin. Les guerres personnelles, familiales et civiles ne sont interrompues entre eux que par la guerre de voisinage ou, de loin en loin, par quelque coalition pour la guerre étrangère. Une « éternelle discorde » les met aux prises dans la forêt, œternum discordant. Une éternelle envie de nuire ou de profiter les jette sur les champs du dehors. Ils ont toujours soif de meurtre réciproque, in mutuam cædem inhiant[1] ; leur grande joie est la Schadenfreude (plaisir de nuisance) undique se barbaræ nationes vicissim lacérant et excidunt.

Pour cette guerre perpétuelle, les blancs de l’ancienne Germanie, comme hier les nègres de Guinée, se groupaient autour d’un « chef de guerre, » d’un Kriegsherr, auquel ils vouaient par serment leurs services, leur vie, dont ils devenaient les « fidèles » et dont ils restaient les « hommes » aussi longtemps que ce chef était assez brave et assez puissant pour leur assurer protection et bénéfices. Il se pouvait que le roi et le chef, le König et le Kriegsherr, fussent une seule et même personne ; il arrivait le plus souvent que, le roi étant choisi pour l’illustration et l’influence de sa race, le chef était élu pour sa bravoure, ses ressources et ses capacités personnelles, reges ex nobilitate, duces ex virtute, dit Tacite : « Noblesse des rois, valeur des chefs. » Il fallait dans le gau faire une place pour le chef à côté du roi et, pour les fidèles, une place au-dessus des hommes libres. D’où nouvelle source de statuts personnels, de rivalités et de privilèges, — de libertés.

  1. Voir le chapitre de Fustel, Histoire des Institutions, II, p. 306.