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L’ÉTERNELLE ALLEMAGNE.

mère, dépendant du seul caprice des sujets, tumultuarium, fortuitum, mobilem et ex voluntate parentium constantem principatium, dit excellemment l’auteur latin Velleius Paterculus, en une ligne qui est la définition la plus complète de l’autorité germanique. Marbod voulut acquérir un commandement stable et une royauté efficace, certum imperium vimque regiam.

Une royauté efficace sur son gau, un commandement stable sur tous les gaus de la forêt : telle fut toujours la double ambition des « libérateurs » germaniques. Durant les deux mille ans qui séparent Marbod de Bismarck, une vingtaine ont travaillé, une dizaine ont réussi à dresser sur le tumulte des libertés germaniques ce commandement stable d’un Kriegsherr national et cette royauté efficace d’un König héréditaire. Quelques-uns ont eu la chance de voir leur œuvre durer autant qu’eux-mêmes. La plupart l’ont vue crouler de leur vivant. Aucun n’a jamais pu la fonder pour plus de quatre ou cinq générations. Aujourd’hui le troisième empereur Hohenzollern ruine ce que Bismarck avait élevé. Jadis il avait suffi de trois ou quatre Carolingiens, puis de trois Ottons, puis de trois Hohenstaufen pour consommer la ruine toute pareille de l’éternel édifice, toujours rêvé, toujours entrepris, parfois achevé, toujours renversé.

Éphémère commandement des Allemagnes ! M. de Bülow, dès 1913, semblait prévoir la ruine de l’œuvre bismarckienne. Il redoutait la révolte de « l’esprit allemand » contre la « monarchie prussienne. » Il disait que le particularisme allemand « déteste cette monarchie de l’aigle qui plonge une aile dans le Niémen et l’autre dans le Rhin. » Il ne croyait pas que l’Allemagne sût voir longtemps encore « dans la Prusse, l’État de l’ordre, le cœur et le noyau de l’Empire, l’État sans lequel il n’y aurait pas d’Empire, avec lequel l’Empire restera debout, avec lequel il tombera… » Ainsi parle en 1913 l’ancien chancelier de Guillaume II. C’est la parole d’Otto de Frisingen, l’oncle et l’historien du grand Barberousse, disant : « L’Empire tombera, frappé par sa propre épée, » au temps où le monde du xiie siècle saluait dans les Hohenstaufen les restaurateurs de la gloire germanique et les dominateurs de la chrétienté.


Victor Bérard.