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mait cette politique vivante, ambitieuse, énergique ; il y voyait l’aboutissement nécessaire de l’œuvre de Hohenzollern, — mieux encore : le seul moyen de prolonger l’unité de tout Empire allemand. À l’entendre, le militarisme prussien ne pouvait maintenir sa prise sur l’Allemagne actuelle qu’en l’étendant sur l’Europe et le monde, parce qu’il n’y a jamais eu d’autre moyen pour un pouvoir unitaire, quel qu’il ait été, de maintenir sa prise sur l’éternelle Germanie.

XCIII intellectuels d’un côté, M. de Bülow de l’autre : auquel de ces Allemands devons-nous croire ?

Les XCIII intellectuels affirment sans la moindre preuve. M. de Bülow n’est pas seulement l’homme d’Allemagne qui connaît le mieux les nécessités de la monarchie prussienne. Il est encore l’homme qui connaît le mieux l’esprit germanique. Personne n’a plus réfléchi sur les conditions permanentes de tout Empire allemand à travers l’histoire, et personne n’a jamais été mieux placé, durant toute sa vie, pour bien apercevoir ces conditions. Or, l’Empire du Hohenzollern apparaissait à M. de Bülow, comme le renouveau d’une tentative cinq ou six fois reprise au cours des siècles, toujours contrariée par le même tempérament des peuplades allemandes et toujours condamnée jusqu’ici à l’échec final, faute de cette politique ambitieuse et résolue dans le sens national, qui, seule, aurait pu jadis assurer la domination et la durée aux dynasties impériales du Moyen Age, aux Hohenstaufen par exemple.

Voyez cette dynastie des Hohenstaufen, qui, durant un siècle (1138-1250), établit sa monarchie souabe sur l’Allemagne, l’Italie, la Sicile, la Provence, les deux Bourgognes, les deux Lorraines et les Pays-Bas, sur toute l’Europe centrale, de Hambourg à Palerme et de Vienne à Cambrai. Cette dynastie « kolossale » qui, trois cents ans après Charlemagne et six cents ans avant Guillaume Ier de Hohenzollern, fournit aux peuplades allemandes leur plus beau type d’Empereur, leur légendaire Barberousse, dont elles attendirent durant sept siècles la résurrection, pourquoi est-elle tristement tombée « sous les intrigues papales et françaises ? » pourquoi l’œuvre de Frédéric Ier Barberousse fut-elle ruinée par son petit-fils Frédéric II ?

C’est, — pensait M. de Bülow, — que, séduit « par la splendeur romane des Croisades » et par l’enchantement du rêve