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d’Afrique, où tant de cultes ont passé et se sont mêlés, perçoit les traces d’une ardeur religieuse de nature volcanique ; tantôt dormante, et tantôt en éruption ; un fanatisme intermittent dont les manifestations apparues un jour, fulgurantes comme un rayon de lumière sur une épée. se perdent ensuite dans cet autre fanatisme qui suit les convulsions et les cris : le fanatisme du silence.

Ainsi, le monothéisme éperdu aboutit à des manifestations qui ressemblent à celles qu’a connues, sur cette même terre, le paganisme éperdu. Si les frères, après les cérémonies qui les ont rassemblés, se dispersent, on conçoit ce que chacun d’eux, revenu dans son village, dans sa tribu, peut dépenser de force de prosélytisme. Ce n’est pas comme dans la vie religieuse d’Occident où ce qu’on a pu appeler le fanatisme demeure enfermé dans les monastères, séparé de la vie publique, fixé dans des formes, dans une liturgie, dans une doctrine unique et sans cesse surveillée. Le mysticisme musulman est aussi changeant, aussi mouvant que les lueurs derrière les nuages du couchant. Chaque adepte en emporte et en répand ce qu’il peut et ce qu’il veut. On en a montré ici la forme la plus commune, la moins cachée, celle dont les hystériques démens se montrent au grand jour. Nous savons qu’il en est d’autres plus raffinées, plus intellectuelles. La chaîne a bien des anneaux et, de la terre au ciel, le chemin est long. Dans la même confrérie, le mysticisme de l’un touche aux idées platoniciennes, la ferveur de l’autre s’épanche en poésies ravissantes. « Quand j’entendis les poésies du Cheikh Menehald el Donnari del Abdssalem El Asmar, elles produisirent sur moi une émotion telle que je dus quitter la djemma et m’en aller dans le jardin voisin où j’errai de longues heures dans un ravissement mystique inexprimable. Dès que mon maître El Doukali m’en fit connaître les vertus, je connus les beautés de l’extase..., » et l’extase qu’il décrit est bien celle du ravissement devant le mystère d’une beauté, d’une vérité supérieure. On dirait que, dans les spéculations comme dans les égaremens des soufistes, traînent des pensées et des rites antiques. Vieilles poussières d’idées et surtout de cultes superposés, disparus, et qui dans l’islamisme ont pourtant laissé des « témoins. » Les soufistes appellent Dieu le Pôle, et, quelles que soient les oscillations de la pensée, elle revient toujours à ce point magnétique ; mais, du fond de la nuit des temps, la voix du passé réclame encore les âmes. Les cris qui se sont élevés vers le Soleil,