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il mêle sa poussière à celle des Africains qui aimèrent les astrologues et les mages, à qui l’on enseignait que la contemplation du ciel est une communion, dont les âmes « s’élevaient au milieu du chœur sacré des étoiles, participaient à leur immortalité et, avant le terme fatal, s’entretenaient avec les dieux. »


VI. — LA HAINE

Mais l’extase n’est pas le dernier terme. Quand les khouans reviendront des mers de lumière, ils se retrouveront anéantis, affamés, nus, avides d’un peu de bien-être ou d’un peu de sécurité. Alors, si le maître veut qu’entre ses mains le khouan demeure vraiment asservi, il ne doit pas être maître seulement de son âme et de son cœur, il faut encore assujettir son corps, son bien, sa maison, son fils, sa femme.

C’est en offrant tout que le khouan se sentira vraiment possédé, fier de participer à la vie élargie de la confrérie. Et, pour prendre un jour sans remords, ne faut-il pas d’abord donner, assurer, avec le pain de l’âme, le pain du corps, la galette de froment, la petite jarre pleine d’olives. Si un chef veut une armée, il doit la nourrir, prévoir les calamités qui la menacent.

Alors les cheikhs, autour des zaouïas, font creuser les silos, y tiennent en réserve le trop-plein des moissons, leurs sourciers cherchent les puits ; on maçonne les citernes, on scelle dans les khans les auges, les crochets de fer, on étend les nattes pour le repos et le coucher des caravanes. Les petites zaouïas blanches que l’on voit de loin sont comme des oasis, des points d’eau dans le désert pour celui qui a soif d’assistance. Les pauvres y viennent de loin en processions incessantes, quêter le pain quotidien, et le laboureur, aux années de disette, chemine le cœur léger, son sac vide sur l’épaule, afin de demander à l’administrateur des biens le grain nécessaire pour ensemencer le champ qui a refusé la moisson. Que ne peut-on attendre alors de celui qu’on a sauvé de la misère ? Quelle ziara n’apportera-t-il pas et quel pouvoir ne prêtera-t-il pas à la zaouïa abondante ? Réciter une prière, apprendre les devoirs bienfaisans qui lient le faible au fort, s’enrôler, recevoir l’initiation, jurer le secret sur les affaires de l’ordre, obligation facile ! Aussi religieusement qu’il a apporté son sac vide, une autre fois le khouan apportera son sac plein,