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cœurs. A genoux ils embrassent la terre, ils en recueillent une parcelle pour la porter sur eux toute la vie dans le petit sachet de cuir.

Quand Madeleine voulut aller poser sa main aimante sur le tombeau de Jésus, l’Ange lui dit : « Ne le cherchez pas, il est ressuscité, » et quand Jésus apparut à Madeleine il lui dit : « Ne me touchez pas. » Tout était consommé. L’idéal avait passé, il fallait pour l’embrasser le suivre par delà la mort sur le chemin du sacrifice. Mais ici ce sont des possesseurs frénétiques qui viennent en légions avec orgueil se compter et toucher le sol que foulèrent les pas triomphans du Prophète. Le soir, quand les mosaïques des minarets et des koubbas exaltent leurs vieux ors, leurs bleus de turquoise sur le ciel d’Asie et que des peuples mêlés récitent ensemble la même prière, d’où qu’ils viennent, ils la sentent l’Unité des fidèles célébrant l’Unité de Dieu : l’univers pour eux se limite à eux-mêmes : ils se sentent les maîtres du monde ou les heureux esclaves des maîtres du monde.

A Médine, leurs pieds touchant le sol qui recouvre les cendres du Prophète, ils se sentent comme enracinés dans une terre maternelle, ils aiment s’y coucher, la baiser. Dans la grand cour carrée de la koubba, brûlée de lumière, ils ruminent leur gloire. Les galeries ajourées, découpées en arcades s’enfon- cent en colonnades mystérieuses où brûlent des milliers de lampes qui scintillent éternellement comme des yeux fidèles. Sous les galeries, les chapelles s’alignent, régulières, innombrables, comme des alvéoles : promenoir sacré où les fidèles passent en longues rêveries les pieux loisirs du pèlerinage.

A genoux sur son tapis de prière, le khouan égrène son chapelet d’ambre, les yeux fixés sur la sainte koubba entourée de ses balustrades blanches dans le jardin purifié. Il est là dans un Paradis jaloux qu’il partage avec ses frères. De confrérie à confrérie, de secte à secte, les variantes sont sans antagonisme. Dans les longues litanies s’affirme toujours le même principe. Les fils de Mahomet sont absorbés, baignés, envahis par ce sentiment de fraternité qui leur donne conscience d’une force immense. S’il est entré dans l’âme des khouans quelque appétit trop terrestre, quelque oubli des obligations religieuses, quelque indifférence au grand concept de l’Unité, ils se repentent, ils ont la ferveur des néophytes ; ils sont revenus au point de départ